L’histoire de l’amnistie des communards commence dès le 13 septembre 1871. Et même avant, le Pas de représailles de Victor Hugo (publié dans Le Rappel daté du 21 avril 1871) s’étant transformé de lui-même en appel à l’amnistie — sauf que Victor Hugo, qui avait démissionné de l’Assemblée en février, n’était pas député, qu’une amnistie est une loi et qu’une loi a besoin d’un député…
C’est donc Henri Brisson, journaliste républicain sous le second empire, nommé adjoint au maire de Paris au 4 septembre, démissionnaire après le 31 octobre et élu de la Seine qui fait la proposition (avec quarante-sept de ses collègues). Il intervient à la Chambre (Journal officiel, 14 septembre 1871):
Au moment de nous séparer, à la veille de la mauvaise saison, ne ferons nous pas entendre une parole de paix à ces trente mille familles que l’absence de leurs chefs réduit au désespoir? Pour la plupart d’entre eux, le châtiment n’est-il point suffisant déjà? Ceux-là mêmes qui conserveraient de mauvais sentiments ne sont-ils pas désormais impuissants à mal faire? Est-il bon, enfin, de dépeupler les ateliers de Paris ? (Mouvements divers.)
L’industrie parisienne est une des richesses les plus précieuses de la France ; la valeur des objets qu’elle façonne étant due au goût et à l’intelligence de l’ouvrier bien plus qu’à l’importance matérielle du travail, il en résulte pour nous un véritable monopole traditionnel; il en résulte aussi que le personnel ouvrier qui l’alimente ne saurait être remplacé. La détention prolongée de trente mille ouvriers serait donc une menace pour l’industrie parisienne et pourrait en amener la ruine. (Rumeurs à droite et au centre). Elle tarirait ainsi l’une des sources principales de la fortune du pays.
Il importe d’ailleurs de préparer le plus tôt possible la réconciliation de tous les Français. Au sortir d’une guerre civile bien plus longue que la nôtre, la république américaine n’a pas craint d’offrir le pardon aux rebelles.
(Réclamations à droite.) Plusieurs membres: il n’y a pas de comparaison possible.
Les députés signataires se nomment, par ordre alphabétique, Edmond Adam, Allemand, Eugène Arrazat, Louis Blanc, Bloncourt, Boysset, Brelay, Henri Brisson, Brousset, Cardon, Albert Castelnau, Jules Cazot, Chavassieu, Colas, A. Corbon, Daumas, A. Dréo, Dupuy, Escarguel, A. Esquiros, Eugène Farcy, Ferrouillat, Gambetta, Gent, René Goblet, Greppo, Joigneaux, Henri de Lacretelle, Clément Laurier, Henry Lefèvre, Lepère, Lherminier, Martin-Bernard, Millaud, Naquet, Ordinaire, Peyrat, Laurent Pichat, E. Quinet, Rathier, Rouvier, Schœlcher, Scheurer-Kestner, Taberlet, Tardieu, Tiersot, Tolain, Vuillermoz.
Je ne ferai pas de commentaire, me contentant de citer (et d’approuver) celui de Louis Fiaux dans une note de bas de page de son Histoire de la guerre civile de 1871, parue en 1879:
quel pouvait être leur but [aux propositions d’amnistie de 1871-72], sinon de faire amnistier l’attitude de leurs auteurs pendant les mois de mars, d’avril et de mai?
À cette date, les premiers procès ont eu lieu et les premières condamnations ont été prononcées, mais aucun condamné à mort n’a encore été exécuté. Les procès continuent, les exécutions (re)commencent, et, le 19 décembre, une autre proposition est faite à l’Assemblée par Edmond de Pressensé, proposition qui ne contient même pas le mot « amnistie », comme le défend Pressensé lui-même (Journal officiel, 21 décembre) et dont voici l’article unique:
Les individus poursuivis ou condamnés à la suite de l’insurrection du 18 mars, qui n’ont pas dépassé le grade de sous-officier, et qui ne sont accusés ou convaincus d’aucun crime de droit commun ni d’aucun fait déterminé dans ladite insurrection, seront remis en liberté. La présente loi ne sera pas applicable aux individus qui auront été, antérieurement à l’insurrection, condamnés à l’emprisonnement.
On continue à condamner, on discute du lieu où seront déportés les condamnés, Henri Brisson revient à la charge, et l’Assemblée vote pour… la Nouvelle-Calédonie (Journal officiel, 24 mars 1872).
Les deux propositions arrivent, quand même, sur le bureau de l’Assemblée en juillet 1872. Louis Blanc, qui a prononcé un discours pour l’amnistie à Nantes en février, peut-être pour se faire pardonner son impardonnable attitude pendant la Commune, demande que la question soit discutée « avant les vacances ». Thiers intervient alors en personne pour dire qu’il n’y a pas urgence… on en reparle peut-être encore en 1874 et… on ne statue jamais sur ces propositions.
Le 20 décembre 1875, c’est Alfred Naquet, député du Vaucluse, un des signataires de la première proposition, qui en dépose une autre (avec Bouchet, Esquiros, Madier de Montjau et Ordinaire). Du temps a passé, au point que des condamnés ont réussi à s’évader de Nouvelle-Calédonie et que les conditions de détention commencent à être connues. La « question préalable » permet d’écourter la discussion. L’Assemblée ne se prononce pas. Pour la mémoire d’Alfred Naquet, j’ajoute qu’il aura plus de succès, des années après, avec une loi sur le divorce.
Mais nous n’en sommes pas là.
Une Assemblée à majorité républicaine est élue, le 8 mars 1876. Victor Hugo, quant à lui, est maintenant sénateur. Il lance une proposition de loi d’amnistie, que François-Vincent Raspail et Édouard Lockroy défendent à l’Assemblée — il y a d’ailleurs plusieurs propositions. L’Assemblée vote très majoritairement contre. Voici la liste des cinquante députés qui ont voté pour (Le Rappel, 20 mai 1876): Allain-Targé, Allègre, Barodet, Louis Blanc, Bouchet, Bouquet, Brelay, Henri Brisson, Cantagrel, Germain Casse, Castelnau, Clemenceau, Cotte, Daron, Daumas, Deschanel, Douville-Maillefeu (comte de), Ernest [ou Amaury?] Dréo, Duclaud, Durand, Farcy, Floquet, Frébault, Girault, Greppo, Guyot, Lacascade, Lacretelle (de), Laisant, Leconte (Indre), Lockroy, Madier de Montjau, Jules Maigne, Marcou, Margue, Ménier, Édouard Millaud, Moreau, Martin Nadaud, Alfred Naquet, Ordinaire, Georges Périn, François-Vincent Raspail, Benjamin Raspail, Rollet, Rouvier, Talandier, Tiersot, Tutigny, Vignes.
Sans aucun doute vous avez remarqué que Gambetta n’est pas dans cette liste. En effet, il n’avait pas pris part au vote.
Lorsque, quelques jours plus tard, Victor Hugo prononce un très beau discours (que vous pouvez lire sur la une du Rappel du 24 mai) au Sénat, seuls sept sénateurs votent pour.
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Pour écrire cet article, j’ai utilisé les journaux qui y sont cités et le livre
Fiaux (Louis), Histoire de la Guerre civile de 1871, Charpentier (1879).
La lithographie de Maximilien Luce, « Les morts de la Commune », que j’ai utilisée comme couverture de cet article, est au musée de l’histoire vivante de Montreuil.
Cet article a été préparé en avril 2020.