Il n’y a pas de numéro de La Patrie en danger daté du 11 septembre 1870. Le n°4 est daté du 10 septembre, le n°5 du 12.
Vous croyez que c’est parce que le 11 septembre est un dimanche? Vous croyez que Blanqui prend un repos hebdomadaire, comme Dieu-le-Père? Qu’il le prend, justement, le jour « du Seigneur »?
Eh bien non! Non seulement Blanqui, lui, travaille tous les jours, mais aussi, en ce temps-là, les journaux paraissent tous les jours, même le dimanche. Et La Patrie en danger ne manque pas à cette règle, elle paraît d’ailleurs les dimanches suivants.
Mézalor? Eh bien, tout simplement, à partir d’aujourd’hui 11 septembre, La Patrie en danger est datée du lendemain, comme l’a été La Marseillaise, comme l’est Le Rappel, comme le sera Le Cri du peuple.
Sans prévenir. Mais il est vrai que le journal daté du 8 septembre contient un « aujourd’hui jeudi », que celui daté du 10 contient le compte rendu d’une réunion de club du 9, mais que le compte rendu de la réunion du 10 paraît dans le journal daté du 12.
Et pour nous, ça tombe bien, parce que demain lundi, nous avons rendez-vous à l’Académie des sciences.
Je vous parle donc bien aujourd’hui du numéro d’aujourd’hui, même s’il est daté de demain…
Et d’un article de Gustave Tridon. Vous avez certainement remarqué qu’il y a peu de femmes mentionnées dans les articles consacrés à ces premiers jours de septembre.
Nous avons même failli rater, hier, l’intervention de la citoyenne Émery au club de La Patrie en danger, à la suite d’une omission d’Albert Goullé — l’omission est la principale caractéristique des femmes dans l’histoire. Eh bien, ce « pas de femme » était encore trop!
Allez-vous-en, Mesdames!
Il y a trop de femmes parmi nous. Il y a trop de pleureuses et de criardes. Il n’en faut pas.
Nul plus que moi ne respecte et chérit le sexe chanté par Legouvé. Mère, fille, épouse et sœur, la femme tient la première place dans nos affections. Elle nous conduit par la main, depuis le berceau jusqu’à la tombe, et personne n’échappe à son cachet et à son influence. Elle est la patrie et le foyer. Elle est l’amour et le ménage ; mais elle est aussi la crainte et la faiblesse. Sa nature la voue fatalement aux affolements et aux terreurs.
Elle craint parce qu’elle aime, et elle trouble parce qu’elle chérit.
J’en ai vu, et des plus fortes, qui tremblent à la seule idée du siège et se désolent d’avance par l’évocation du Prussien ! Eh bien ! qu’elles s’en aillent. Les patriotes de province les recevront, les soigneront et les envelopperont de leur chaude hospitalité jusqu’à la fin de la guerre.
Pas de fausse honte ! pas d’illusion ! L’heure n’est plus aux galanteries chevaleresques. Eh bien, oui ; chères trembleuses, la ville va être livrée aux horreurs d’un siège, peut-être unique dans l’histoire. Oui, les bombes et obus vont pleuvoir comme grêle. Oui il y aura des morts et des blessés, du sang et des cadavres.
Mais, de grâce, si nous avons en face l’ennemi et la mort, qu’il n’y ait pas en arrière des criaillements et du désespoir. Si nous sommes prêts à lutter contre les nouveaux barbares, que nos femmes et nos filles et nos mères ne viennent pas désarmer nos bras et énerver nos courages. Ce n’est pas des Prussiens que l’assaut serait le plus redoutable.
Paris en ce moment est la ville des hommes et des soldats ! Que tout ce qui ne se sent pas du cœur au ventre s’en aille. Nous ne vous en voudrons pas, mesdames, de nous quitter pour un instant. Nous ne vous retrouverons qu’avec plus de plaisir. Il suffit que quelques-unes d’entre vous restent pour nous faire la soupe et de la charpie.
Nous avons à revendre des Desdémone et des Ophélie. Il nous faut des Jeanne d’Arc et des Théroigne de Méricourt.
G. Tridon
J’avoue ne pas avoir d’atomes crochus avec ce journaliste. Oui, je sais, il est tuberculeux — et c’est de ça qu’il sera mort, dans moins d’un an. Mais c’est aussi un théoricien de l’antisémitisme. Oui, je sais, il n’est pas le seul. La preuve? Ses amis (blanquistes) ont publié ses « études » des années après la mort. Devinez-quoi? Cet article n’a pas amélioré mon opinion sur lui.
D’ailleurs, je reviendrai sur ce numéro après-demain, et il sera aussi question de racisme. Mais pour aujourd’hui, nous parlons des femmes.
Bref, les proudhoniens ne sont pas les seuls « affreux » quand il est question des femmes! Pour réhabiliter un tant soit peu le quotidien blanquiste, je prends encore un jour d’avance pour une lettre qu’il publie dans le numéro suivant (celui de mardi 13, donc), d’ailleurs après un article d’Adèle Esquiros, que je reproduis plus bas.
Aux femmes de Paris
Montmartre 8 septembre 1870
Citoyennes, nos sœurs,
La lutte est suprême !
Quel est l’enjeu de la partie ?
Pour le présent : la patrie ; — pour l’avenir : la vie et la liberté de nos fils.
C’est à nous que, par une virile énergie, il appartient de prêter un appui moral à ces hommes qui défendent pied à pied, au prix de leur sang, le sol de notre chère patrie, à ceux-là qui unissent leurs efforts pour détruire à tout jamais cette hydre qui nous dévore à chaque heure, à chaque instant.
Nous voulons la République européenne !
Levons-nous en masse, parlons, excitons nos maris ; que nos larmes, qui ne sont pas de cette heure, n’affaiblissent pas leur courage.
Sont-ils républicains ? Encourageons-les.
N’ont-ils pas d’opinion ? (Il en est malheureusement trop dans ce cas.) Il faut leur en faire une malgré eux.
Sont-ils monarchistes ? Oh ! alors combattons ; nous avons assez de l’empire, supplions s’il le faut.
Avec la République universelle, tous les peuples sont frères, ils se donnent la main, ils se soutiennent au lieu de se détruire pour l’orgueil des monarques ; nous avons la paix, une paix durable, une paix éternelle. Et à vous, mères, qui arrosez chaque jour de vos sueurs le pain de vos enfants, il vous sera réservé une vieillesse heureuse au milieu de vos petits-fils.
Et nos fils diront : Nos mères nous ont conquis la liberté.
Vive la République universelle.
Ont signé :
Les citoyennes Marie Rouiller, Lebéhot, Cotta, Perronet, Eugénie Gousson, Gousson, Louise Michel, Tardif, Bossuat, Martel, Dereure, Guégueu, Goumand.
Notez qu’elles se placent exactement sur le terrain de Tridon. Des épouses, des sœurs, des mères — mais qui ne pleurnichent pas. Ce seraient plutôt leurs hommes…
Ce n’est pas la seule pétition de femmes — ni la seule signée par Louise Michel — en ces premiers jours de septembre, en voici une autre, parue dans Le Temps daté du 11 septembre, et initiée par une autre de nos connaissances, André Léo:
La France est envahie.
L’ennemi pille trois provinces et condamne les populations à mourir de faim sur les routes et dans les bois.
Les hommes sont contraints à servir l’oppresseur de leur pays; les braves sont fusillés, et les femmes subissent un sort plus odieux.
Et, pendant ce temps, ceux qui administrent la France marchandent froidement des armes aux citoyens. La population des départements n’est pas armée ! L’ouvrier de Paris n’est pas armé!
Le pauvre n’aurait-il pas de patrie ?
N’a-t-il pas à défendre lui aussi sa femme, ses enfants, son humble, mais cher foyer?
Prétendrait-on le dépouiller du droit de tout être humain, celui de sa propre défense?
Nous, femmes françaises qui. pour nous ou pour les nôtres, redoutons la honte plus que la mort, nous protestons de toute notre indignation contre une trahison de parti, à l’heure suprême actuelle, et nous jurons de vouer à l’exécration de nos enfants ceux qui, abusant de leur pouvoir, entraveraient la défense de la famille et de la patrie.
Cette pétition peut être signée chez Mme André Léo, rue Mollet, 92.
Ont signé : Mme Louise Michel, rue Oudot-Montmartre 24. Mme Rozé, boulevard de La Villette, 165. Mme Garcin, rue Lepic, 13 (Montmartre).
Et voici l’article d’Adèle Esquiros:
On lit dans le Gaulois du 9 et dans le Petit Moniteur du 10 septembre sous ce titre: Les étapes du gouvernement:
… Nous croyons pouvoir affirmer que le gouvernement qui va être en partie transporté à Tours ne regarde cette ville que comme une étape tout à fait provisoire, etc. Comme la ville de Tours n’est nullement en état de faire la plus légère résistance, le gouvernement provisoire serait décidé à aller d’établir à Lyon dès l’approche de l’armée ennemie. Lyon pris et détruit à son tour, Marseille aurait appelé à l’honneur d’abriter le gouvernement national. Si le malheur voulait enfin que Marseille succombât, le gouvernement s’embarquerait sur un des vaisseaux de la flotte et serait transporté à Brest. Nous ignorons l’itinéraire qui lui serait ensuite réservé. Mais nous croyons que les diverses contrées de la France seront appelées à protéger chacune à leur tour l’honneur national.
Nous sommes convaincue que le gouvernement provisoire comprend autrement sa mission. C’est à Paris, d’est au danger qu’il doit être.
Ce serait injurier ces braves citoyens de douter qu’ils préfèrent le devoir à la cie, et de leur supposer celle vanité que la France c’est eux.
Léonidas, en mourant, ajouta à la gloire de la Grèce. Si notre gouvernement a l’honneur de mourir pour nous, nous avons de grands cœurs qui le valent; les événements d’ailleurs, font surgir des hommes.
La France, exterminée jusque dans le dernier de ses sujets, mais régénérée par son malheur et son courage, la France aura une belle page dans l’immortalité.
Adèle Esquiros
Une femme, qui parle d’elle au féminin (le journal a gardé le « convaincue ») et… qui parle de politique, tout simplement. Et pas juste des femmes…
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Il est presque impossible de trouver des images qui représentent des femmes à cette époque. Omises des textes, elles sont gommées des images. Celle que j’ai mise en couverture est parue dans Le Monde illustré daté du 8 octobre et représente « de braves femmes portant la goutte aux soldats fatigués par la nuit passée à la belle étoile ». Ce journal est sur Gallica, là.
Cet article a été préparé en mai 2020.