L’affiche de couverture vient d’un recueil Murailles. Je n’en ai pas trouvé d’image meilleure. On y voit que Trochu s’énerve. Plus d’affiches politiques!!!

L’Univers aussi s’énerve.

Mais commençons par des nouvelles de nos amis de La Patrie en danger.

Dans son numéro daté du 20 novembre, paru donc hier 19 novembre, La Patrie en danger publie, en une, deux articles anticléricaux. Le premier, « La libre pensée », est signé Henri Verlet, un libre-penseur de la meilleure eau. Juste la fin de l’article, pour le plaisir:

Nous voulons l’Humanité libre. C’est pourquoi nous voulons l’enfant pur et instruit.
Ce résultat, nous l’obtiendrons par l’instruction laïque et scientifique. Et le jour où cet enseignement sera gratuit et obligatoire, Veuillot ne trouvera plus de disciples pour traiter les révolutionnaires de « voleurs, assassins, dresseurs d’échafaud ».
Ce jour-là, l’Humanité, sauvée de Dieu et de son paradis, sera délivrée de tous ses maux. Elle aura enfin reconquis son bonheur, volé par la religion.

(Le Veuillot dont il est question est… eh bien, nous en parlons plus bas.) Le deuxième article est signé Achille Humbert et titré: « Les Prêtres réfractaires ». Je suis sûre que vous imaginez son contenu, je ne résiste pas à en citer quelques phrases:

Le devoir de ces Messieurs de la soutane est donc de porter le fusil comme les autres.

Ou encore:

C’est une honte de voir ces hommes promener insolemment leur paresse et leur lâcheté dans nos hôpitaux où ils sont inutiles.

Bizarrement, ce n’est aucun de ces deux articles qui énerve L’Univers. Ce quotidien catholique et réactionnaire est très catholique et très réactionnaire. Il est dirigé par Louis Veuillot et, à vrai dire, il était attaqué par l’article « libre-penseur » d’Henri Verlet.

Les braves dévots sont furibonds,

dit encore Verlet. En parcourant L’Univers du lendemain, on découvre que L’Univers n’aime pas qu’une comédienne lise Les Châtiments sur la scène du Théâtre français, que L’Univers n’aime pas Victor Hugo, et que c’est donc peu dire, a fortiori, que L’Univers n’aime pas les « rouges », que L’Univers déteste Blanqui et La Patrie en danger. Et pourtant, non, L’Univers ne dit rien, ni de l’article sur l’éducation laïque et scientifique, ni de celui sur « ces messieurs de la soutane ». C’est qu’il y a mieux. Ou pire. Comme vous voulez. Bref, voici l’article énervé annoncé. Oui, celui de L’Univers (en vert, L’Univers, en rouge, la citation qu’il fait de La Patrie en danger):

Les « tricoteuses », déjà mises en montre par leur promenade avec drapeau rouge et l’inscription « Vive la Commune! » ont établi leur quartier général dans le XVIIIe arrondissement. La Patrie en danger nous donne un nouveau manifeste de ces citoyennes. Il s’y trouve un article qui donne une idée assez juste des dames blanquistes: les « ouvroirs religieux » et les « maisons de prostitution » y sont mis sur la même ligne. Il faut citer ces choses afin de montrer à quel état en est arrivé le parti révolutionnaire et quelles femmes, par conséquent quelles familles, il peut former:

Comité républicain de vigilance
Des citoyennes du XVIIIe arrondissement

Nous, citoyennes du Comité républicain de vigilance du XVIIIe arrondissement, ne pouvant être utiles qu’autant que nous ferons servir au soulagement de la misère générale tout ce qui est abandonné ou paraît inutile;

Nous réclamons:

1° Réquisition des logements vides, pour y loger les citoyens sans abri.
2° Réquisition du vin et du charbon laissés dans les caves des maisons abandonnées, au profit des malades et des asiles;
3° Abolition complète, dans le XVIIIe arrondissement, des ouvroirs religieux et des maisons de prostitutions;
4° Fonte immédiate des cloches de Montmartre, pour les canons;
5° Recensement impartial des infirmes et des vieillards, afin que personne ne soit oublié et que la République ne soit pas trompée;
6° Ouverture d’une école professionnelle gratuite; d’un atelier communal et d’asiles démocratiques dans la maison dite de secours du XVIIIe arrondissement, les asiles et ateliers déjà ouverts étant en nombre trop restreint pour la population;
7° Sortie de citoyens protégés par des gardes nationaux pour la récolte des légumes abandonnés, afin de prolonger les vivres et d’éviter les communications avec l’ennemi ou la vente de légumes à des prix exorbitants.
Le fruit de ces sorties devra être employé comme provisions communales par la mairie et les comités de vigilance;
8° Augmenter immédiatement le nombre des asiles déjà ouverts dans le XVIIIe arrondissement, et où les enfants sont nourris pendant que les mères vont à l’atelier; — le rationnement immédiat et le reversement des trente sous des gardes nationaux employés aux remparts sur leur famille; — qu’ils soient nourris, comme les soldats, aux frais de l’État, et se tiennent pour sûrs que leurs femmes, leurs enfants, leurs mères, ne mourront point de faim ou de froid pendant leur absence.

Vive la Commune! Vive la République universelle!

La présidente, Louise Michel,
La vice-présidente, Collet
Le Comité: Adèle Esquiros, André Léo, J. Alombert, Cornebois, Dauguet, Dufour, Hinet, Connue, Blin, Godin, Jeulin, Poirier, Cartier, Dounn, Robichon, Charlet.

Puisque ces citoyennes veulent nous constituer à nouveau, nous leur demandons de se faire connaître autrement que par leurs noms et leurs proclamations. Qu’elles nous donnent de chacune d’elles une petite biographie intime, nous faisant connaître par quelle voie elles sont arrivées à vouloir réformer l’ordre social. L’histoire de leurs épreuves, de leurs sentiments, de leurs rencontres dans la vie pourra nous permettre de mieux apprécier la valeur de leurs appels.

C’est vrai, quoi! D’où sortent-elles, ces bonnes femmes?

Il n’y a aucun doute que Monsieur Veuillot et/ou le journaliste auteur de cet article a entendu parler d’André Léo, et surtout d’Adèle Esquiros, deux écrivaines, la deuxième connue depuis 1848, et dont je reparlerai dans l’article du 1er décembre…

*

La petite guerre entre L’Univers et nos amies et amis va continuer. Sans y passer trop de temps, je signale un petit mot de Louise Michel directement adressée au journal clérical — enfin, pas tout à fait directement, puisqu’elle l’envoie à La Patrie en danger, qui la publie dans son numéro daté du 2 décembreL’Univers répond, dans son numéro du 4 décembre, de même qu’il ne rate pas la dernière apparition de Louise Michel dans La Patrie en danger, le lendemain, la reproduisant dans son numéro du 7 décembre. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer deux petites phrases de celle que L’Univers nomme « l’amère Michel »:

On m’insulta, je répondis; mon chapeau me fut enlevé; je rendis un soufflet. Alors on me conduisit brutalement au poste

— étonnez-vous que ça énerve L’Univers!

Cet article a été préparé en juin 2020.