Cet article est la suite de celui du 18 décembre.
Nous avons vu Clément Thomas, ce « gendarme émérite », ainsi que le qualifie Gustave Flourens, insulter les bataillons ouvriers de la garde nationale.
Je reviens ici sur son arrivée au commandement de la garde nationale, après le 31 octobre, et je cite Gustave Flourens (les citations en vert):
Le pauvre vieux Tamisier, n’ayant pu fusiller personne au 31 [octobre], fut chassé, remplacé au commandement en chef de la garde nationale par un gendarme émérite, M. Clément Thomas, homme à poigne solide. Le principal mérite militaire de ce général était d’avoir lancé des gendarmes sur le peuple désarmé avec ce mot: « Chargez-moi cette canaille » [c’est de juin 1848 qu’il est question]. Il nous fit bien voir du reste, dès le début de son règne, quelle estime il faisait de nous, et il nous traita véritablement en canaille.
Il est remarquable que Gustave Flourens, qui était quand même, financièrement et culturellement, un grand bourgeois, se soit si bien intégré dans ses bataillons de Belleville. Et regardez comme il était respectueux, lui, de ces ouvriers:
À eux deux, Clément Thomas et Montagu [un colonel qui le secondait] souillèrent les murs de Paris d’une série de proclamations scandaleuses, de révoltantes insultes contre la garde nationale. Si, dans l’enrôlement fait aux premiers jours de septembre, avec une précipitation inévitable, il s’était glissé parmi nous quelques indignes, la garde nationale toute entière, sauf quelques exceptions, n’en était pas moins honorable. Elle se composait de très-braves gens, dont le dernier valait infiniment mieux que MM. Clément Thomas et Montagu, dont le dernier travaillait et produisait, tandis que ces Messieurs ne font que consommer et coûter fort cher à l’État.
Eh bien, ils ont trouvé moyen d’outrager grossièrement tous ces honnêtes gens: à les en croire, la garde nationale n’aurait été qu’un ramassis d’ivrognes, de voleurs et de pillards, de lâches qui fuyaient devant le premier casque prussien.
Ils ont fini, peu de temps avant que nous nous fissions écharper héroïquement à Montretout, par se demander si la garde nationale « ne serait pas plutôt un embarras qu’un secours pour la défense ». Ce qui voulait dire: « Vous n’êtes qu’une horde de lâches coquins, de mendiants auxquels nous voulons bien donner trente sous par jour, comme à Rome on donnait sa sportule à la plèbe, mais vous êtes incapables de vous battre ». Certes, MM. Clément Thomas et Montagu auraient été payés par Bismarck pour décourager et démoraliser les Parisiens, ils n’auraient pu s’y prendre mieux; ils auraient été payés pour confirmer les Prussiens, qui lisaient tous nos journaux, dans l’opinion de Bismarck sur « la vile populace » de Paris, ils n’auraient pu faire mieux.
En anticipant un peu sur le calendrier, voici un deuxième article sur Clément Thomas, que Le Rappel a publié dans son numéro du 26 décembre, et qui constitue une suite à celui d’hier:
LE GÉNÉRAL CLÉMENT THOMAS
Le gouvernement essaye de justifier le général Clément Thomas. Le Rappel étant un des « journaux qui ont reproché au commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, une sévérité outrée qui tendrait à déconsidérer les forces nationales placées sous ses ordres », nous devons déclarer au gouvernement que sa plaidoirie ne nous semble pas avoir gagné la cause du général.
On nous affirme que « tous les faits graves signalés au général sont transmis à des jurisconsultes dont l’impartialité est au-dessus du soupçon et la science incontestable ». Ces jurisconsultes extraordinaires, on ne les nomme pas; de sorte que nous sommes obligés de croire aveuglément, ce qui est plus catholique que républicain.
On ajoute que ces jurisconsultes « provoquent, selon le cas et comme mesure préliminaire, des enquêtes ou des instructions ». Nous sommes étonnés d’apprendre que c’est après une instruction attentive que le commandant supérieur de la garde nationale s’est résigné à dissoudre et à injurier des bataillons tout entiers. Car nous croyions nous rappeler que, par exemple, les tirailleurs de Belleville, qu’il a traités de lâches en plein Journal officiel, c’est-à-dire devant la France — et devant la Prusse, n’avaient absolument contre eux que la dénonciation d’un commandant qui s’était rétracté le lendemain.
Du reste, l’apologie même de M. Clément Thomas montre le scrupule avec lequel l’état-major ménage la considération de la garde nationale — en s’empressant de publier « les profanations d’Issy, le pillage de Créteil et de quelques autres localités ». Ces faits « sont soumis aujourd’hui à une enquête rigoureuse ». On commence par flétrir; ensuite, on examinera. On condamne avant de juger. On daigne convenir que ce sont là « des faits exceptionnels »; mais on n’en est pas à ignorer que les monarchistes n’en conviendront pas, eux, et que ces exceptions-là leur serviront à éclabousser toute la démocratie armée.
La note qui croit justifier le commandant supérieur de la garde nationale ne nous est donc qu’une nouvelle raison de protester contre la facilité avec laquelle il divulgue et exagère des torts individuels, qu’il a le droit de punir, mais qu’il a le devoir de cacher.
Yves Guyot.
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Le tableau de Meissonier, La barricade, rue de la Mortellerie, juin 1848, illustre le « Chargez-moi cette canaille! ». Il est au musée de Louvre et je l’ai copié là.
Livre cité
Flourens (Gustave), Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.
Cet article a été préparé en août 2020.