Le 18 décembre 1870 a lieu une grande bataille à Nuits-Saint-Georges. Un peu plus glorieuse pour l’armée française que bien d’autres. Un tout jeune général, Camille Cremer (un peu malmené par Gustave Flourens dans notre article du 17 décembre) s’y est « illustré ». Le tableau utilisé en couverture est dû à Théodore Levigne, qui était un des combattants, et, si je comprends bien, il est au musée de Nuits-Saint-Georges.

Ce n’est pourtant pas de Camille Cremer qu’il va être question aujourd’hui, mais d’un vieux général, Clément Thomas.

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Reconnu par « la foule », le général Clément Thomas a été « arrêté » par « la population » de Montmartre et plus tard exécuté.
Ce sera dans trois mois, le 18 mars 1871.

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Aujourd’hui, 18 décembre, nous découvrons — déjà — quelques-unes des raisons qui font que ce général était tellement détesté, en lisant un article d’un journal, certes démocratique mais pas révolutionnaire, Le Rappel. Ah! que j’aurais aimé vous faire découvrir un article d’Henri Verlet dans La Patrie en danger sur ce général! Je suis sûre qu’il aurait commencé par rappeler que Clément Thomas était (aussi) un massacreur de juin 1848.
Il faudra nous contenter du Rappel!
Dans cet article, les citations sont en vert.

LE GÉNÉRAL CLÉMENT THOMAS

Nous sommes persuadés que le commandant supérieur de la garde nationale n’est pas absolument l’ennemi de la garde nationale, et que c’est sans intention qu’il travaille à la déconsidérer; mais nous ne nous expliquons pas bien l’acharnement qu’il met à lui infliger des reproches publics.
L’autre semaine, c’était les tirailleurs de Belleville qu’il accusait de lâcheté [voir notre article du 7 décembre]; hier, c’était les volontaires du 147e qu’il dissolvait pour refus de service; aujourd’hui, il demande au général Trochu, qui s’empresse de la lui accorder, la révocation du commandant du 200e bataillon, qui se serait enivré avec « la moitié au moins de ses hommes ». Pour peu que cela continue, M. Clément Thomas finira par faire croire que la garde nationale n’est qu’un tas de réfractaires, d’ivrognes et de lâches.
Nous comprenons et nous acceptons toutes les nécessités de la discipline, et nous n’avons nulle envie de prendre la défense de la làcheté, de l’indiscipline et de l’ivrognerie. S’il se trouve des gardes nationaux qui ne méritent pas leur grade ou leur arme, on ne peut mieux faire que de les désarmer et de les dégrader.
Mais d’abord il faudrait que leur indignité fût prouvée. Or, nous ne remarquons pas que M. Clément Thomas se croie astreint à entendre ceux qu’il condamne; il prononce leur arrêt sur la simple parole d’un général ou d’un commandant, qui parfois se rétracte le lendemain, et l’arrêt n’est pas rétracté, lui [c’est ce qui s’est passé avec les tirailleurs de Belleville, voir, toujours, notre article du 7 décembre]. La politique peut ne pas être étrangère à ces justices-là. Nous remarquons qu’elles frappent toujours du même côté. Le premier bataillon atteint était de Belleville; on assure au Français que le bataillon d’aujourd’hui « appartient au faubourg Saint-Antoine » [les trois bataillons concernés sont des bataillons de quartiers ouvriers, outre le vingtième pour les tirailleurs, le 147e est du dix-neuvième et le 200e du onzième, acceptons le faubourg Saint-Antoine]. Admettons que ce n’est pas la République modérée qui se venge de la République violente, et que tout est strictement vrai dans les accusations dont on flétrit les bataillons dissous et les commandants révoqués.
Ne pouvait-on pas les dissoudre et les révoquer sans ce fracas d’injures et sans étaler en plein Journal officiel des faits individuels que les ennemis de la démocratie se priveront peu de généraliser? Quand on a voulu nous interdire de parler du moindre mouvement de troupes, on nous a dit que les Prussiens lisaient tous les journaux.
Nous ne supposons pas au gouvernement cette modestie de croire que les Prussiens font une exception pour son journal à lui.
S’ils lisent le Journal officiel, nous cherchons vainement quel profit il peut y avoir pour la défense de Paris à ce qu’ils lisent, à la première page du numéro d’hier, que, dans les conditions où se trouvent certains bataillons, « la garde nationale est une fatigue et un danger de plus ».
Les Prussiens penseront ce qu’ils voudront; la garde nationale se charge de leur démontrer qu’elle n’est « un danger » que pour eux. Il n’en est pas moins constant que M. Clément Thomas a une singulière façon de faire respecter un corps dont il a l’honneur d’être le chef, et qu’il fera prudemment d’en changer, s’il ne veut pas qu’il y ait bientôt une révocation de commandant plus nécessaire que toutes celles qu’il prodigue si volontiers: la sienne.

Yves Guyot.

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À titre documentaire, voici ce qu’on lisait dans le Journal officiel le 15 décembre — Yves Guyot a oublié de nous signaler la raison pour laquelle le 147e était mécontent (que j’ai « soulignée » dans l’article ci-dessous):

Paris, le 14 décembre 1870
Monsieur le Gouverneur,

J’ai l’honneur de vous informer que le bataillon dit des Volontaires du 147e avait reçu l’ordre de partir ce matin pour Rosny, et qu’au moment du départ, il n’a présenté sur le lieu de son rassemblemont habituel qu’un effectif de 109 hommes, dont la plupart avaient négligé de prendre leurs armes.
Ce bataillon, d’une formation antérieure au décret du 8 novembre 1870, et dont les éléments avaient été puisés à diverses sources, a motivé son refus de marcher, sur ce que les femmes des hommes mariés qui en font partie n’auraient pas touché pendant leur absence, les 75 centimes que le Gouvernement de la défense nationale leur a alloués [voir notre article du 4 décembre], et, sans tenir compte des explications données à ce sujet, il a persisté dans son refus.
Une première fois, le 28 novembre, j’avais eu à me plaindre de lui, et il était parti pour Créteil dans un état qui m’avait inspiré un vif mécontentement. Mais sa conduite n’ayant donné lieu à aucune plainte pendant son séjour dans la tranchée, j’avais cru pouvoir oublier ce précédent.
L’acte qu’il a commis aujourd’hui me prouve que je ne saurais compter sur une pareille troupe.

J’ai donc l’honneur de vous proposer: 1° La dissolution de ce bataillon; 2° La réincorporation des hommes qui le composent dans les divers bataillons d’où ils sortent, les chefs de ces bataillons restant libres de les admettre et devant être tenus de procéder au désarmement de ceux qu’ils refuseront.
[…]
J’ai l’honneur d’être, etc.

Le général commandant supérieur des gardes nationales de la Seine,
CLÉMENT THOMAS

(Approuvé par Trochu.)

Et, le 17 décembre:

Paris, le 16 décembre 1870
Monsieur le Gouverneur,

Le 200e bataillon est sorti aujourd’hui de Paris pour aller occuper les avant-postes de Créteil. Je reçois de M. le général commandant supérieur à Vincennes la dépêche suivante: « Chef de bataillon du 200e ivre! La moitié au moins des hommes ivres!! Impossible d’assurer le service avec eux.
Obligation de faire relever leurs postes.
Dans ces conditions, la garde nationale est une fatigue et un danger de plus. »
J’ai l’honneur de vous-demander la révocation du chef de bataillon Leblois, commandant le 200e bataillon.
Veuillez agréer, monsieur le Gouverneur, etc.

CLÉMENT THOMAS

(Approuvé par Trochu.)

La suite à demain

Cet article a été préparé en août 2020.