Le directeur du Muséum d’Histoire naturelle (ce qui inclut le Jardin des Plantes) à Paris, le chimiste Michel (Eugène) Chevreul, est âgé de 84 ans. Un vieillard, peut-être, mais très vert (il a encore dix-huit ans à vivre!). Et, ce 9 janvier 1870, c’est en fureur qu’il entre dans la salle des séances de l’Académie des sciences. Après la peur et l’incompréhension des possibles victimes civiles du bombardement prussien, voici l’indignation du savant, « brute »: un fait incroyable vient de se passer.

M. Chevreul donne lecture à l’Académie de la déclaration suivante:

Le jardin des plantes médicinales, fondé à Paris par édit du roi Louis XIII, à la date du mois de janvier 1626,
Devenu le Muséum d’Histoire naturelle par décret de la Convention du 10 de juin 1793,
Fut bombardé,
Sous le règne de Guillaume 1er, roi de Prusse, comte de Bismarck, chancelier,
Par l’armée prussienne, dans la nuit du 8 au 9 de janvier 1871.
Jusque-là, il avait été respecté de tous les partis et de tous les pouvoirs nationaux et étrangers.

E. Chevreul, directeur

Paris, le 9 de janvier 1871.

Même les cosaques de 1814 n’avaient pas montré une telle « barbarie »…

L’Académie des sciences ne donne pas de nouvelle directe de l’Observatoire, dans un quartier pourtant qui a été des premiers atteints. Nous nous contenterons d’un petit entrefilet à propos du quartier, paru dans Le Petit journal daté du 8 janvier:

Boulevard de l’Observatoire, un marchand de chaussures a fermé sa boutique, sur laquelle il a mis l’affiche suivante:

Fermé pour cause de bombardement.

Toujours gais, les Parisiens.
Assurément, si nous bombardions Berlin, les épais Berlinois ne trouveraient rien de semblable à écrire sur leurs boutiques.

Barbares et même pas drôles, les Prussiens!…

Et, même du point de vue des scientifiques, ce n’est pas terminé. Le cinquième arrondissement est particulièrement visé par les obus prussiens, qui confondent souvent la coupole du Panthéon et celle du Val-de-Grâce — un hôpital militaire pourtant. De sorte que, deux semaines après, le 23 janvier, donc, l’Académie des sciences reçoit et enregistre dans ses Comptes rendus l’information suivante, plus « posée »:

M. Stanislas Julien, administrateur du Collège de France, et M. Schéfer, administrateur de l’École des langues orientales vivantes, déclarent que le Collège de France, fondé en 1530 par François 1er, et l’École des langues orientales vivantes, fondée en 1795 par la Convention, ont été bombardés dans la nuit du 10 au 11 janvier et dans la journée du 19 janvier 1871.

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L’image de couverture est un petit mystère: que fait donc cette plaque, que faisait-elle donc, lorsque je l’ai photographiée, c’était le 24 février 2014, au-dessus des boîtes à lettres, dans l’entrée d’un immeuble de la rue de la Folie-Méricourt??? (Merci à Jacques Jouet de me l’avoir montrée.) Un employé du Muséum, témoin de l’enlèvement de cette plaque, qui n’a pas voulu la laisser partir à la poubelle et qui l’a ramenée chez lui? Il y a peut-être encore plus d’histoire qu’on ne le croit dans les murs des quartiers qui furent populaires à Paris.

Les textes cités viennent des Comptes rendus de l’Académie des sciences, que l’on trouve sur Gallica, et pour ce volume, précisément là.

Cet article a été préparé en mai 2020.