Dans la nuit du 8 au 9 janvier, les tirs prussiens qui ont frappé le Jardin des Plantes, à la grande fureur de Michel Chevreul (notre article d’hier) ont aussi frappé l’hôpital de la Pitié, non loin de là (j’ai aussi mentionné hier le Val de Grâce). Voici une partie d’un article du Journal officiel daté du 10 janvier:
Les abords du Panthéon et le 9e secteur ont reçu beaucoup d’obus; plus de trente de ces projectiles du plus gros calibre ont porté sur l’hospice de la Pitié : une femme y a été tuée, et les malades d’une salle ont dû être évacués dans les caves; le Val-de-Grâce a été bombardé également. L’ennemi semble prendre pour objectif les établissements hospitaliers de Paris. Par ces procédés odieux, il montre une fois de plus son mépris des lois de la guerre et de l’humanité.
Avec quelques précisions (dans le même journal) le lendemain:
Pendant la nuit du 8 au 9 janvier, l’hôpital de la Pitié a été criblé d’obus. Le bâtiment de l’administration et les divers bâtiments qui contiennent des malades ont été gravement atteints.
Dans une salle de médecine, affectée au traitement des femmes, les projectiles prussiens ont fait une morte et deux blessées : les dames Morin, tuée sur place; Mirault, qui a eu le bras droit emporté; Archambault, atteinte au bras et à la cuisse (fracture) et grièvement blessée au bas-ventre.
Adolphe Michel a noté pour ce jour-là:
Le bombardement a redoublé d’intensité pendant la nuit du 9 au 10. On a compté plus de trois cents obus qui sont venus tomber dans les quartiers Saint-Victor, Jardin-des-Plantes, du Val-de-Grâce, Notre-Dame-des-Champs, de l’École-Militaire, de La Maison-Blanche, de Montparnasse et de Plaisance. En deux heures, il en est tombé cinquante aux abords du Panthéon, et ils ont causé sur plusieurs points des dégâts importants. Un incendie qui a éclaté dans un chantier de bois du quartier de la Gare a pu être circonscrit promptement. Diverses maisons de refuge et des ambulances ont été atteintes, notamment l’hôpital de La Pitié, la maison [Ah qu’en termes galants ces choses-là sont dites!] de Sainte-Pélagie, la maison des Frères de la doctrine chrétienne. Le nombre des victimes s’est élevé cette nuit à quarante-huit: douze morts et trente-six blessés.
Voilà pour le bombardement. Les arrestations, maintenant. Dans le journal Le Combat, le lundi 9 janvier:
Les citoyens signataires du manifeste arrêtés sont l’adjoint Léon Meilliet, Humbert, Napias-Piquet, Pillot et Dupas; sont inquiétés l’adjoint Oudet, Pindy et Sapia.
Les cent quarante signataires de l’Affiche rouge signent aussi, dans le même journal, cette protestation:
Les délégués des vingt arrondissements réunis le 6 janvier 1871,
Après avoir pris lecture de la pièce diffamatoire signée du gouverneur de Paris [l’affiche de Trochu en couverture de notre article du 7 janvier], manifestent une fois de plus leur mépris pour ceux qui trompent, perdent et mystifient Paris depuis quatre mois et passent à l’ordre du jour.
Sur la question des mandats lancés par le préfet de police contre la totalité ou plusieurs d’entre eux au sujet de l’énoncé de leur opinion, les délégués considèrent cette agression comme un attentat à la liberté de la presse et des personnes qui provoque le droit de légitime défense.
Eugène Châtelain est arrêté lui aussi, le 8 janvier, et ainsi, aujourd’hui 10 janvier, Le Combat publie une nouvelle protestation:
L’assemblée des délégués des vingt arrondissements, dans sa séance du lundi, 9 janvier, proteste avec indignation contre les procédés d’un pouvoir sans pudeur qui travestit le sens d’une affiche après l’avoir fait déchirer, qui, afin de couvrir ses attentats et ses actes arbitraires, transforme en appel aux armes un simple appel au bon sens et au patriotisme du peuple de Paris.
La population que l’on cherche à égarer par la tromperie et le mensonge saura discerner que [qui], depuis quatre mois par ses parjures, sa mauvaise foi et ses provocations, excite constamment à la guerre civile.
L’assemblée déclare à l’unanimité qu’en demandant la retraite [sic, disent Dautry et Scheler, mais pourquoi?] d’un pouvoir, dont l’insuffisance n’est plus contestée par personne, ses membres ont rempli un devoir de conscience d’autant plus impérieux, que, sous la République, surtout, chacun a le droit et le devoir de s’exprimer librement sur les affaires publiques;
Que, ne reconnaissant point de chef, elle est étonnée qu’on cherche à frapper quelques-uns de ses membres comme principaux auteurs d’actes accomplis en commun;
Et, en conséquence, réclame la mise en liberté immédiate de tous les délégués incarcérés, ou qu’on ait l’audace d’arrêter tous les autres; car tous ses membres sont à cet égard, et de déclarent solidaires.
Après le bombardement et les arrestations, une bonne nouvelle: la parution du premier numéro d’un nouveau journal, La République des travailleurs (je l’ai annoncé et présenté il y a plus de deux ans), un de ceux que l’Association internationale des travailleurs appelait de ses désirs (ce que j’ai annoncé il y a tout aussi longtemps, voir aussi l’article du 5 janvier de cette année)… le voici, et d’ailleurs il est là, vous n’avez qu’à cliquer!
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L’estampe que j’ai utilisée en couverture, Les petits marchands d’obus, de Clément-Auguste Andrieux, date de ces journées du bombardement, des gamins (pauvres) tentent de vendre des morceaux d’obus à des passants (moins pauvres); elle est au musée Carnavalet. Voici ce qu’en dit Francisque Sarcey:
Les gamins et les pauvres gens guettaient l’arrivée de l’obus; à peine avait-il éclaté qu’ils se jetaient sur les morceaux et les vendaient comme souvenirs du siège. Il s’était établi comme une sorte de bourse, où les éclats d’obus étaient côtés suivant leur dimension ou l’étrangeté de leurs échancrures. Un morceau, vendu chaud encore, valait cinquante centimes de plus. Il y eut, pour les ramasser, des imprudences commises, qu’aggravait encore l’impatience de la foule.
Livres utilisés
Michel (Adolphe), Le siège de Paris, 1870-1871, A. Courcier (1871).
Dautry (Jean) et Scheler (Lucien), Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, Éditions sociales (1960).
Sarcey (Francisque), Le Siège de Paris Impressions et souvenirs, Lachaud (1871).
Cet article a été préparé en août 2020.