Le 13 janvier, les médecins de l’hôpital Necker protestent contre le bombardement prussien, auquel la chapelle de leur hôpital sert de point de mire. De même, les responsables de l’Institut des jeunes Aveugles — qui sert aussi d’ambulance et est « surmonté du drapeau de la convention de Genève ». Ces protestations paraissent dans les journaux parisiens.

Les journaux parisiens du 15 janvier publient aussi une lettre, dont je ne sais pas si le destinataire l’a reçue, que Le Figaro présente ainsi:

Du sein de la capitale attaquée, une puissante voix vient de se faire entendre. Dans leur brutal orgueil, les Prussiens ne pensaient pas à tout. Ils bombardaient sans avis préalable: le peuple de Paris n’était-il pas tout entier armé pour sa défense, et ne devait-il pas être traité comme une simple garnison?…
C’était la réponse que devait sans doute faire M. de Bismarck à ceux qui lui adressaient des observations au seul nom de l’humanité Mais aujourd’hui il va falloir qu’il s’explique autrement vis-à-vis des puissances neutres, dont les représentants, ministres, chargés d’affaires et consuls lui adressent la lettre suivante.

Voici donc cette lettre, parue dans le Journal officiel avec la date du 13, et que cite aussi Adolphe Michel.

À S. E. M. le comte de Bismarck-Schœnhausen, chancelier de la Confédération de l’Allemagne du Nord, à Versailles.

Monsieur le comte,

Depuis plusieurs jours, des obus en grand nombre, partant des localités occupées par les troupes belligérantes [assiégeantes], ont pénétré jusque dans l’intérieur de la ville de Paris. Des femmes, des enfants, des malades ont été frappés. Parmi les victimes, plusieurs appartiennent aux Etats neutres. La vie et la propriété des personnes de toute nationalité établies à Paris se trouvent continuellement mises en péril.
Ces faits sont survenus sans que les soussignés, dont la plupart n’ont en ce moment d’autre mission à Paris que de veiller à la sécurité et aux intérêts de leurs nationaux, aient été, par une dénonciation préalable, mis en mesure de prémunir ceux-ci contre les dangers dont ils sont menacés, et auxquels des motifs de force majeure, notamment les difficultés opposées à leur départ par les belligérants, les ont empêchés de se soustraire.
En présence d’événements d’un caractère aussi grave, les membres du corps diplomatique présents à Paris, auxquels se sont joints, en l’absence de leurs ambassades et légations respectives, les membres soussignés du corps consulaire, ont jugé nécessaire, dans le sentiment de leur responsabilité envers leurs gouvernements, et pénétrés des devoirs qui leur incombent envers leurs nationaux, de se concerter sur les résolutions à prendre.
Ces délibérations ont amené les soussignés à la résolution unanime de demander que, conformément aux principes et aux usages reconnus du droit des gens, des mesures soient prises pour permettre à leurs nationaux de se mettre à l’abri, eux et leurs propriétés. En exprimant avec confiance l’espoir que Votre Excellence voudra bien intervenir au près des autorités militaires dans le sens de leur demande, les soussignés saisissent cette occasion pour vous prier d’agréer, mon sieur le comte, les assurances de leur très haute considération.

Paris, le 13 janvier 1871.

Le Journal officiel publie la liste des signataires. La voici:

Signé:
Kern, ministre de la Confédération suisse.
Baron Adelswaerd, ministre de Suède et Norwége.
Comte de Moltke-Hvitfeldt, ministre de Danemark.
Baron Beyens, ministre de Belgique.
Baron de Zuylen de Nyvelt, ministre des Pays-Bas.
Washburne, ministre of the United States.
Ballivian y Roxas, ministre de la Bolivie.
Duc d’Acquaviva, chargé d’affaires de Saint-Marin et Monaco.
Henriquo Luiz Ratton, chargé d’affaires de S. M. l’empereur du Brésil.
Julio Thirion, chargé d’affaires par intérim de la république dominicaine.
Attaché militaire et chargé des affaires de Turquie, Husny.
Lopez de Arosemena, chargé d’affaires de Honduras et du Salvador.
C. Bonifaz, chargé d’affaires du Pérou.
Baron G. de Rothschild, consul général d’Autriche-Hongrie.
Baron Th. de Voelkersahm, consul général de Russie.
José M. Calvo y Feruel, consul d’Espagne.
L. Cerruti, consul général d’Italie.
Joaquin Proenza Vieira, consul général du Portugal.
Le vice-consul gérant de Grèce, Georges A. Vuzos.

Le Figaro, qui ne publie pas cette liste, se contente de remarquer:

Seul, le représentant de l’Angleterre n’a pas signé ce document, mais tous les autres membres du corps diplomatique et du corps consulaire en ont accepté la solidarité. Assurément ce ne sera pas lettre morte, et la Prusse n’osera pas violer ainsi ouvertement le droit international.

Non, je ne ferai pas de commentaire anachronique!

*

L’estampe d’Auguste Trichon représente la rue Mouffetard pendant le bombardement. Elle est au musée Carnavalet.

Livre utilisé

Michel (Adolphe), Le siège de Paris, 1870-1871, A. Courcier (1871).

Cet article a été préparé en août 2020.