Le 12 janvier 1871, comme tous les jeudis, à huit heures du soir, le conseil fédéral de l’Association internationale des travailleurs se réunit à la Corderie du Temple.

Voir notre article d’il y a une semaine.

Ils sont là, Eugène Varlin, Leo Frankel, Jean-Louis Pindy et d’autres, et Émile Lacord, Henri Goullé, Armand Lévy, Henry Bachruch…

Henry Bachruch sera encore présent la semaine prochaine, le 19 janvier et, certainement, il profitera de la fin du siège pour quitter Paris et gagner la Hongrie, son pays. Son compatriote Leo Frankel, resté à Paris, lui, signalera sa présence le 1er mars « à Pesth » — il aura repris son activité militante là-bas. Ainsi Henry Bachruch n’a pas participé à la Commune de Paris…

Mais n’anticipons pas. Nous en sommes toujours au siège.

Et aux difficultés qu’il occasionne. Je ne parle ni du froid ni de la faim ni du bombardement — et d’ailleurs, qu’ont-ils mangé, avant d’arriver à la Corderie? et comment se sont-ils tenu chaud? et ceux qui sont venus de la rive gauche, des obus ont-ils interrompu leur chemin? Je ne parle pas non plus de ce que j’ai un jour appelé « du rififi », enfin, pas vraiment. Mais d’encore d’autres difficultés.

Difficile, par exemple, de régler ce que l’on doit à l’Association typographique, qui a publié les deux volumes de « nos procès », comme dit Varlin — grâce auxquels nous, cent cinquante ans après, en savons tant sur l’histoire de l’Association internationale à Paris –, difficile, parce que le trésorier, Jules Franquin, est aux avant-postes.

Difficile, de toute façon, de faire rentrer les cotisations. D’autant plus que les bronziers — Varlin cite les bronziers, il pense peut-être à Theisz qui, tiens, n’est pas là — et tant d’autres corporations, lithographes, ébénistes, sont dispersés dans les compagnies de guerre.

Difficultés avec le journal, les journaux, j’ai déjà mentionné ceci, La République des travailleursLa Lutte à outrance, deux journaux peut-être, ou peut-être aucun, car aucun d’eux n’est le journal de l’Association internationale, et la difficulté se résout, ou se surmonte provisoirement, par un vote, unanime (sauf que les Ternes votent nul), des sections, pour une tribune dans La Lutte à outrance,

Le journal La Lutte à outrance aura un sous-titre séparé du corps du journal et une réserve pour la partie politique.

La réunion se termine à onze heures et demie, non sans avoir nommé une commission de rédaction, qui comporte Jules Franquin et Albert Theisz — dispersés mais pas loin.

Trois heures et demie, c’est beaucoup pour le peu du procès verbal… Mais nous ne saurons pas ce qu’ils se sont dit d’autre.

*

Puisqu’il me reste un peu de place, je vais vous dire deux mots aussi de la réunion de jeudi prochain 19 janvier, parce que, avec les joyeusetés versaillaises du 18, la bataille de Buzenval les 19 et 20, le 22 janvier et sa préparation le 21, je n’aurai pas le temps.

Un mot d’abord sur une grève de boulangers qui n’a pas eu lieu et que j’ai déjà évoquée dans un vieil article (la citation est en vert):

TABOURET. Le travail infligé aux ouvriers boulangers est oppressif. Il se fait la nuit, sans nécessité, cela nous sépare de la société et de la famille dormant pendant le jour, nous vivons comme retranchés du monde, aussi ne pouvons-nous être en communion d’idées avec les travailleurs. Les boulangers demandent l’appui de l’Internationale.
Une grève de boulangers aurait grave influence sur la société.

FRANKEL. Varlin et moi, nous avons traité cette question sociale, nous avons démontré qu’au moyen âge les boulangers ne travaillaient que le jour et qu’ils fêtaient même toutes les fêtes d’alors cela faisait cent jours environ de chômage par an.

GOULLÉ. Les boulangers pourraient nous remettre un mémoire pour le journal.

VARLIN. Le moment serait mal choisi, aujourd’hui que la farine manque. Cette corporation manquait de force, il y a quelques mois, ce serait bien pis actuellement. Je demande l’ordre du jour.

CHALAIN. Je m’étonne que le conseil fédéral discute une telle question dans un tel moment, où la situation politique est si menaçante.

VARLIN. Beaucoup de corporations sont dans le même cas que les boulangers. Quant je suis allé en province, j’ai vu des centres tout entiers émasculés par une atroce misère. Le seul remède serait celui-ci devenir un corps politique puissant afin d’agir nous-mêmes.

Après quoi, et c’est le deuxième mot que je dirai sur cette réunion du 19 janvier, il est question du « rififi »:

CHALAIN. La section de l’Est fomente chez nous la discorde; le conseil fédéral doit accomplir son mandat sans tenir compte de cette opposition. On a fait dans les arrondissements des conseils de vigilance. Cela a pu être utile en son temps, mais aujourd’hui il est urgent que tous viennent se grouper au sein du conseil fédéral. Je demande qu’on nomme des délégations pour aller dans les sections.

FRANKEL. Cela a été fait et n’a pas produit de résultat.

BALLERET. L’Internationale doit s’efforcer de gagner du terrain dans la politique.

Là encore, le procès verbal est bien court… et malgré les interventions de Varlin et de Balleret, et la conscience qu’il faut aller davantage sur le terrain de la politique, eh bien, il n’est pas question d’action à mener en ce sens, en particulier il n’y a pas de préparation de la journée du 22 janvier… à laquelle pourtant des internationalistes participeront.

*

On a beau ne pas parler du bombardement… Le dessin d’Auguste Lançon, qui représente des habitants de la rue d’Enfer « à l’abri » du bombardement dans les caves de leur maison, est daté de janvier 1871 et se trouve au musée Carnavalet.

Livres utilisés ou mentionnés

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Procès de l’Association internationale des travailleurs — Première et deuxième commission du bureau de Paris, Deuxième édition publiée par la Commission de propagande du Conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs, Juin 1870.

Troisième procès de l’Association internationale des travailleurs à Paris, Le Chevalier (Juillet 1870).

Cet article a été préparé en août 2020.