George Guillaume, que nous avons lu franc-tireur (volontaire suisse) pendant le siège, était encore à Paris en janvier — et après. Son deuxième livre porte principalement sur son expérience pendant la Commune, mais il commence par une description de Paris juste après la capitulation. La voici (les citations sont en vert).

Paris venait de capituler, et chacun regardait avec angoisse vers l’avenir sombre, gros d’orage, qui se préparait. Quelles seront les conditions du vainqueur, et quelle sera l’attitude de la future assemblée de Bordeaux? La France pourra-t-elle se relever de cette guerre effroyable, et la République ne sombrera-t-elle pas avec elle?

Telles étaient les questions que chacun se posait, et que nul ne pouvait résoudre. Il fallait, en attendant un avenir meilleur et les premiers convois de ravitaillement, continuer à manger le pain du siège, et se chauffer du bois vert de Jules Ferry. Il fallait voir encore, pendant de longs jours, passer dans la rue ces petits cercueils d’enfants, qui mouraient toujours par centaines. Deuil, faim, froid, humiliation, chômage, craintes pour l’avenir, rien ne fut épargné au peuple parisien.

La classe aisée, elle, s’en allait en province se ravitailler, c’était l’expression consacrée.

Et les dandys et les petits crevés de l’empire se montraient de nouveau sur les boulevards. Ils revenaient de l’étranger, roses et bien portants, insultant par leur attitude et leur luxe insolent à la misère du pauvre peuple, s’extasiant de ce que Paris n’avait pas plus souffert que cela. Ils se plaignaient même, ces bons messieurs, des abattis d’arbres qu’on avait faits dans leurs promenades favorites, et de la rareté momentanée des chevaux, qui les empêchait de parader dans leurs splendides voitures.

Le long des remparts, où tant de gardes nationaux avaient veillé, pendant les froides nuits d’hiver, le cœur confiant en l’avenir, un spectacle navrant s’offrait aux yeux de la population; des artilleurs descendaient les canons de leurs affûts, les poudrières étaient vidées; les forts avaient été occupés par les Prussiens, qui en devaient garder le matériel, et on devait leur livrer celui des remparts.

On disait même que les nombreux canons offerts pendant le siège au gouvernement par la garde nationale, auraient le même sort [cette question des canons de la garde nationale va être, on le sait, à la source du déclenchement de la Commune le 18 mars prochain]. — Puis on savait que l’ennemi occupait complètement vingt-cinq départements, à peu près le tiers du territoire de la France, et ces contrées envahies étaient précisément les plus riches et les plus fertiles.

Pour qui connaît l’excessif amour-propre national des Parisiens, il sera facile de comprendre combien une pareille humiliation dut leur coûter. Personne ne voulait reconnaître que les Allemands devaient leur victoire à leur puissante organisation militaire, à leur stratégie, à leur excellente artillerie. — Non! Nous avions été trahis: trahis par Napoléon, par Lebœuf [le ministre de la guerre du gouvernement Ollivier]; trahis par Bazaine, par Uhrich, un moment l’idole de Paris; par d’Aurelle de Paladines, puisqu’il avait laissé reprendre Orléans; trahis par Jules Favre, par Jules Ferry, et par tout le gouvernement de défense nationale.

Ici George Guillaume n’est pas sur la même ligne que nos amis blanquistes et internationalistes.

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Le dessin est paru, avec un peu de retard, dans Le Monde illustré daté du 11 février. Nous sommes il y a deux jours, le 28 janvier, la scène se passe à Versailles et les protagonistes sont, de gauche à droite, Bismarck, le général de Valdan, « ce pauvre Jules Favre » (voir notre article du 27 janvier) et von Moltke, avec son casque à pointe et sa croix de fer. Ces messieurs discutent les articles de la capitulation — euh, pardon, de l’armistice.

Livres mentionnés ou cités

Guillaume (George), Souvenirs d’un franc-tireur pendant le siège de Paris par un volontaire suisse, G. Guillaume fils, Neuchâtel (1871), — Souvenirs d’un garde national pendant le siège de Paris et pendant la Commune, Librairie générale de Jules Sandoz, Neuchâtel (1871).

Cet article a été préparé en septembre 2020.