Le siège, et avec lui le blocus alimentaire, sont terminés. On peut lire, dans Le Rappel daté du 15 février (dans cet article, les citation sont en vert):

Ravitaillement de Paris

Du 3 au 13 février courant, il est arrivé par le chemin de fer du Nord 94 trains de ravitaillement, comprenant ensemble 3477 wagons qui contenaient les marchandises ci-après :

11,879,905 kil. de farine,
463,848 kil. de riz,
1,445,762 kil. de biscuit,
1,137,525 kil. de salaisons,
2,325,853 kil. de denrées diverses,
480,694 kil. de poisson.
5,315,000 kil. de combustible,
7,651 têtes de bétail.

Le gouvernement a reçu hier, par le télégraphe, l’avis d’un nouvel envoi venant d’Angleterre. Le gouvernement anglais nous expédie six navires, qui apportent au Havre 1,800 tonnes de farines, biscuits, conserves, etc., nouvelle marque de la sympathie profonde que la défense et les souffrances de Paris ont excitée chez nos voisins.

« Nouvel envoi », parce que la ville de Londres a envoyé des denrées alimentaires à la ville de Paris. Ils arrivent par plusieurs convois, les 5, 7, 8 février et encore après…

Toujours dans ce même numéro du Rappel:

Le ravitaillement était à peine commencé, que déjà la mortalité diminuait. Le dernier bulletin donne 220 morts de moins que le bulletin précédent. Le chiffre est encore plus qu’honorable.

Du 4 au 10 février, il y a eu à Paris 4,451 décès.

Le chiffre se décompose ainsi par âge:

  • Au-dessous d’un an, 704;
  • de 1 an à 15 ans, 693;
  • de 15 à 50 ans, 1,179;
  • au-dessus de 50 ans, 1,315.

Et aussi:

On a apporté hier matin au pavillon des Halles plus de cinq mille tonnelets de beurre de Normandie, arrivés la veille par le chemin de fer de l’Ouest.

Mais revenons aux dons anglais. Regardez l’image et voyez comme on en a besoin dans Paris. Il n’y en a certes pas assez pour tout le monde. Puisque nous lisons Le Rappel, ne ratons pas dans ce même numéro (daté du 15 février), la lettre de notre ami Jules Mottu:

Le maire du onzième arrondissement nous envoie, avec prière de la reproduire, la lettre suivante qu’il adresse à la Patrie.

Au citoyen rédacteur du journal la Patrie.

Vous vous occupez dans votre numéro en date de ce jour de la question du ravitaillement et du mode de distribution des denrées qui nous sont offertes par la ville de Londres.
C’était pour vous une occasion de critiquer les administrations municipales de Paris, et vous ne pouviez la laisser échapper; mais vous ne vous étiez peut-être pas demandé quelles étaient les quantités mises à la disposition de chaque arrondissement et comment, par exemple, la municipalité du onzième arrondissement pouvait équitablement répartir entres 190,000 habitants, les denrées suivantes:

1,344 boites de lait eonservé;
650 kilos de fromage Chester;
5,120 biscuits;
220 kilos de sel blanc;
et 1,300 kilos de mouton conservé.

Vous savez que, d’après les instructions données jusqu’ici, la distribution doit se faire entre toutes les personnes qui ont souffert pendant le siège, c’est-à-dire entre tous les habitants du onzième arrondissement.
Si la connaissance que vous avez des questions municipales vous faisait entrevoir un moyen pratique de sortir de cette difficulté, nous serions heureux de mettre à profit vos conseils. Pour nous, nous croyons qu’il faut attribuer ces denrées uniquement aux nécessiteux: donner le lait à la société de Maternité qui protège les jeunes enfants, les biscuits, la viande et le fromage aux fourneaux qui nourrissent tant de malheureux ou aux malheureux eux-mêmes.
Tant que ce moyen ne sera pas adopté, nous serons obligés d’attendre des quantités plus considérables et plus en rapport avec le chiffre de nos administrés.

Agréez, citoyen rédacteur, l’assurance de mes sentiments fraternels.

Le maire, JULES MOTTU

Je ne sais pas si La Patrie a publié la lettre de Jules Mottu, mais je vous garantis que les rédacteurs du Figaro ne l’ont pas lue, puisque, dans son numéro daté du 16 février, il s’attaque, non pas au onzième, mais au dix-septième — on devinera sans mal que ce journal est assez fâché que « M. Malon » soit député de Paris…

De quel droit M. le maire et MM. les adjoints du 17e arrondissement, parmi lesquels figure M. Malon, député, ont-ils fait placarder hier matin, à l’occasion de la distribution des dons anglais, une affiche dont voici le beau côté ?

Ces quantités étant trop minimes pour être partagées utilement entre les 138,000 habitants de l’arrondissement, la municipalité a cru devoir les répartir de la manière suivante:
500 kil. de lard seront distribués dans les bouillons, et donneront, sans augmentation de prix, un appoint aux portions qui y seront vendues au public.
Le lait sera distribué aux femmes et aux enfants malades, aux nourrices et aux mères de famille.
Les conserves de mouton, les 500 kil. restant de lard, le fromage, les biscuits; le sel et le sucre seront répartis entre les écoles municipales et les familles les plus nécessiteuses de l’arrondissement par les soins de la commission municipale de secours.

Cela fait du bruit dans Landernau, et c’est tout naturel.

Il est probable qu’on n’en a pas parlé à Landernau; il est aussi assez probable que les familles nécessiteuses du dix-septième en ont été satisfaites.

Une ressemblance entre le onzième et le dix-septième: la forte présence de militants internationalistes dans les commissions municipales.

*

L’image de couverture, parue dans Le Monde illustré daté du 25 février 1871, montre une distribution de ces « dons anglais » au Bon Marché, dont les locaux et le personnel ont été prêtés par M. Boucicault, patron (et grand philanthrope, donc, je suppose). Nous sommes dans le septième arrondissement.

Cet article a été préparé en août 2020.