Car il y a barricade et barricade. Par contre, il n’y a qu’une façon de photographier: le matériel est lourd, encombrant, fixe, le temps de pose est long — autour de dix secondes.

L’illustration de couverture de l’article d’hier, représentant des hommes et des femmes, le 19 mars, élevant une barricade, en mouvement, donc, n’est pas une photographie.

Si vous voyez des gens sur une photographie de barricade, c’est qu’ils posent. Et s’ils posent, c’est qu’ils ne se battent pas. De toute façon, un photographe ne peut pas opérer pendant une bataille de rues. Il viendra poser ses appareils quand ce sera fini, quand il n’y aura plus personne sur la barricade — et il n’y aura personne sur la photographie. 

Il y a des barricades photographiées comme des « ouvrages d’art » (au sens d’art militaire, bien entendu), celles de la Concorde (Saint-Florentin) et de la place Vendôme. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. 

Aujourd’hui je parle des barricades joyeuses. Pour qu’il y ait de la joie, il faut qu’il y ait des gens! Il s’agit de photographies de gardes nationaux sur les barricades. Elles ont été prises en mars, à Belleville, à La Chapelle ou dans le onzième arrondissement, dans les quartiers populaires du nord et du nord-est de Paris. Sur le site du musée Carnavalet, on trouve (pour « barricade 18 mars ») des photographies titrées Chaussée de Ménilmontant, passage Raoul, faubourg du Temple, faubourg Saint-Martin, boulevard de Puebla, rue d’Allemagne, faubourg Saint-Antoine, rue de Flandre, rue de la Roquette, rue des Amandiers, grande rue de La Chapelle…  mais il y en a bien d’autres.

L’après-midi du 18 mars et les jours suivants, on a élevé ces barricades dans Paris, pour le cas où le gouvernement reviendrait… et la plupart ont été défaites quelques jours après — oui, bien sûr, pendant la Semaine sanglante, il y en a eu d’autres, plus de six cents, mais, vous avez compris, de celles-là il n’y a pas de photographie. 

Donc nous sommes en mars, il fait beau, après cet hiver incroyable, le gouvernement et ses sergents de ville ont f… le camp, nous sommes victorieux, heureux, nous avons conquis notre ville, enfin, et voilà, nous posons, devant la barricade — et pas derrière — ou debout sur la barricade — personne ne va nous tirer dessus… et Vive la Commune!

Malheureusement, la photographie de la barricade de la rue Saint-Sébastien (prise du boulevard Beaumarchais) n’est pas au musée Carnavalet. J’en ai copié une petite et vilaine reproduction sur le site d’un musée de… San Francisco. C’est celle que je voulais vous montrer. Pourquoi celle-là? Tout le quartier pose, l’un des gardes a même amené un enfant — dont j’ai décidé (je n’en suis pas certaine, mais il faut faire des choix) que c’était une petite fille, Adèle. On va vous dire — et c’est vrai — que ces photographies ont pu servir après la Commune à reconnaître et rechercher des communards. 


 

Je préfère vous raconter une autre histoire…

Je m’appelle Adèle. Vous voyez la photo de la barricade? La petite fille, devant, c’est moi. Je commençais tout juste à marcher. C’est ma mère, qui a vu cette photographie dans une boutique, des années après, qui l’a achetée et qui m’a tout raconté. C’était le 19 mars, elle s’en souvenait très bien, c’était un dimanche et il faisait très beau, tout le monde était heureux, à Paris, ce jour-là, le siège était fini, on avait à manger, surtout par chez nous, m’a dit ma mère, où on avait tellement crevé de faim. On habitait rue Saint-Sébastien, la barricade protégeait notre rue, au coin du boulevard Beaumarchais, il y avait un photographe, mon père avait appelé ma mère, c’est elle, à droite, elle a bougé alors on ne voit pas son visage, et moi j’ai posé avec les hommes, les gardes du quartier. Ma mère les connaissait tous, elle m’a dit leurs noms. Beaucoup ont disparu. C’est la seule image que j’ai de mon père. C’est pour ça qu’elle a acheté la photo.

Une intervention inédite et rédigée par moi (M. A.).

Cet article a été préparé en octobre 2020.