J’ai déjà parlé plusieurs fois de l’exécution des généraux Lecomte et Clément Thomas, dans cet article ancien, mais aussi dans un article sur les femmes du 18 mars. J’y reviens aujourd’hui rapidement, surtout parce qu’il est difficile de ne pas en parler à cette date, mais aussi parce que Clément Thomas est bien présent sur ce site depuis quelques mois (voir en particulier nos articles du 7, du 18 et surtout du 19 décembre).

Voici donc, pour commencer, ce que l’on trouve au début de la partie non officielle du Journal officiel daté du 19 mars:

Un comité prenant le nom de comité central, après s’être emparé d’un certain nombre de canons, a couvert Paris de barricades, et a pris possession pendant la nuit du ministère de la justice.
Il a tiré sur les défenseurs de l’ordre; il a fait des prisonniers, il a assassiné de sang-froid le général Clément Thomas et un général de l’armée française, le général Lecomte.
Quels sont les membres de ce comité ?
Personne à Paris ne les connaît ; leurs noms sont nouveaux pour tout le monde.
Nul ne saurait même dire à quel parti ils appartiennent. Sont-ils communistes, ou bonapartistes, ou prussiens? Sont-ils les agents d’une triple coalition ? Quels qu’ils soient, ce sont les ennemis de Paris qu’ils livrent au pillage, de la France qu’ils livrent aux Prussiens, de la République qu’ils livreront au despotisme. Les crimes abominables qu’ils ont commis ôtent toute excuse à ceux qui oseraient ou les suivre ou les subir.

Voulez-vous prendre la responsabilité de leurs assassinats et des ruines qu’ils vont accumuler? Alors, demeurez chez vous! Mais si vous avez souci de l’honneur et de vos intérêts les plus sacrés, ralliez-vous au Gouvernement de la République et à l’Assemblée nationale.

Paris, le 19 mars 1871.
Les ministres présents à Paris,
DUFAURE, JULES FAVRE, ERNEST PICARD, JULES SIMON,
AMIRAL POTHUAU, GÉNÉRAL LE FLO
.

Dans la journée, les locaux du Journal officiel ont finalement été occupés par la garde nationale — encore des inconnus! –, et ces messieurs sont partis à Versailles avec leurs maîtres.

Le même jour, le journal Le Rappel daté du 20 mars, écrit:

On a publié, sur l’assassinat des généraux Clément Thomas et Lecomte, des récits — ou plutôt déjà des légendes — qui font les auteurs de cet attentat plus cruels et plus abominables encore qu’ils ne le seraient en réalité.
On nous assure qu’aucune de ces versions n’est conforme à la vérité. Le général Clément Thomas a été fusillé, non par plusieurs coups successifs, mais un seul feu de peloton. Enfin, le comité central repousse avec indignation toute part de responsabilité dans cette odieuse exécution.

Comme l’écrivit quelques semaines plus tard Marie La Cécilia à Louise Colet,

Ces deux exécutions furent regrettables à tous les points de vue, car elles ne pouvaient que servir d’armes aux ennemis de la Commune, mais il faut un peu réfléchir à ce qui les a provoquées.

En effet. Clément Thomas, vous savez, c’est le général qui a tout fait pour être haï. Comme dit Lucien Descaves, c’est depuis juin 1848 que la population l’exécrait. Mais nous l’avons surtout vu à l’œuvre l’automne et l’hiver dernier, depuis qu’il a remplacé Tamisier à la tête de la garde nationale après le 31 octobre, qu’il a fait arrêter Flourens (voir nos articles du 2 novembre et du 28 novembre), qu’il a désarmé les tirailleurs (article du 7 décembre). Voir surtout l’article d’Yves Guyot le 19 décembre.

Le Journal officiel du 21 mars, lui, est rédigé par nos inconnus, les envoyés du Comité central, et voici ce qu’il écrit:

Tous les journaux réactionnaires publient des récits plus ou moins dramatiques sur ce qu’ils appellent « l’assassinat » des généraux Lecomte et Clément Thomas.
Sans doute ces actes sont regrettables.
Mais il importe, pour être impartial, de constater deux faits:

1° Que le général Lecomte avait commandé à quatre reprises, sur la place Pigalle, de charger une foule inoffensive de femmes et d’enfants;
2° Que le général Thomas a été arrêté au moment où il levait, en vêtements civils, un plan des barricades de Montmartre.

Ces deux hommes ont donc subi la loi de la guerre, qui n’admet ni l’assassinat des femmes ni l’espionnage.
On nous raconte que l’exécution du général Lecomte a été opérée par des soldats de la ligne et celle du général Clément Thomas par des gardes nationaux.
Il est faux que ces exécutions aient eu lieu sous les yeux et par les ordres du comité central de la garde nationale. Le comité central siégeait avant-hier rue Onfroy [sic, pour Basfroy] près de la Bastille, jusqu’à l’heure où il a pris possession de l’Hôtel de Ville; et il a appris en même temps l’arrestation et la mort des deux victimes de la justice populaire.
Ajoutons qu’il a ordonné une enquête immédiate sur ces faits.

Et il reproduit, en deuxième page, l’entrefilet du Rappel ci-dessus.

*

L’image de couverture, une barricade du 19 mars, est au musée Carnavalet.

Cet article a été préparé en octobre 2020.