Hier soir, 3 mai, a été inauguré, dans l’église Saint-Michel des Batignolles (entre avenue de Clichy et avenue de Saint-Ouen), le club de la révolution sociale. À la recherche de paroles féminines, je m’y précipite. Édith Thomas le dit: c’est un club majoritairement féminin. D’ailleurs, Maxime Du Camp était à l’inauguration et lui aussi le dit:

Beaucoup de femmes, quelques hommes affectant de garder leur chapeau sur la tête; des enfants piaillaient, des membres de la Commune, ceints de l’écharpe rouge, faisaient les importants au banc d’œuvre. Quatre citoyens, assis autour d’une table placée au-dessous de la chaire, représentaient le bureau. […] Successivement, quatre orateurs se montrèrent dans la chaire.

Ah! Des citoyens. Des orateurs. Au masculin? Un autre auteur réactionnaire, Paul Fontoulieu, consacre un chapitre de son livre à cette église-ce club:

Il était présidé par un dénommé Gaillard. […] Le bureau du club se composait des citoyens Jules Sassin, Combau[l]t, Klébert, Lescure et Sévin. […] L’entrée du club était gratuite, pas même une quête à la porte, comme cela se pratiquait dans d’autres églises. Aussi les assistants étaient-ils toujours très nombreux; une agglomération confuse d’hommes, de femmes, d’enfants et de chiens, causant, babillant, riant, aboyant, buvant et fumant que c’était comme un bouquet de… communards.

Ah! Ah! Un président. Des citoyens. Des hommes. Et il confirme les membres de la Commune annoncés par Du Camp: Chalain, Malon… bref, des élus de l’arrondissement.

Les femmes étaient très nombreuses au club Saint-Michel, mais on n’en vit que deux ou trois essayer d’y faire des discours. La maîtresse de Malon y aurait certainement acquis une grande influence si elle y avait paru souvent, car elle n’y parla qu’une fois et son succès fut énorme. Il y eut néanmoins une reine de la tribune, et cette reine fut une blanchisseuse du lavoir Sainte-Marie, rue Legendre.

Dans « la maîtresse de Malon », vous avez certainement reconnu André Léo. Quant à la blanchisseuse…

À Batignolles et au club Saint-Michel, elle fut une révolutionnaire sans pudeur ni vergogne, prêchant ouvertement la prostitution, le pillage et l’assassinat, et si la Commune avait continué pendant quelques mois encore sa marche en avant, on l’aurait vue aller dans les prisons couper la tête aux otages.

Ici, Édith Thomas voit deux femmes, l’une, Blanche Lefebvre qu’elle dit modiste et décrit comme le fait ce monsieur, grande, maigre, hâlée, et l’autre, Victorine Gorget, qui s’appelait aussi Lefèvre et était blanchisseuse et qui a demandé

une organisation forte qui permette d’employer à la résistance toutes les forces vives de la population, sans quoi il fallait ouvrir les portes à l’armée de Versailles.

… voilà une parole de femme entendue dans ce club et qu’Édith Thomas a lue dans des cartons des archives nationales et de celles de la défense. Elle y a vu aussi la couturière Marie Orlowska. Une Blanche Lefèvre est signataire d’au moins une affiche de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. La même? Une confusion?

Qui sait si d’autres paroles de femmes de ce club « majoritairement féminin » sont conservées? Qui sait si je pourrai ouvrir des cartons d’archives avant mai [en novembre, je croyais être trop pessimiste…]? Je me contente de ces quelques traces. Vous me direz qu’il y a aussi la presse. En effet. Voici de larges extraits de l’article que le Journal officiel du 5 mai consacre à l’ouverture de ce club:

L’église était comble et les femmes en majorité. On sentait qu’en partant se battre pour la Commune, les maris avaient laissé au logis un germe solide d’idées révolutionnaires.
Plusieurs membres de la Commune étaient présents.
Le bureau, composé des citoyens Faillet, Sévin, Simon, Léon Angevin, était disposé juste en face de la tribune, la chaire naturellement.
L’orgue a ouvert la séance par la Marseillaise, chantée tout au long par les citoyens et citoyennes du club, avec un enthousiasme admirable. […]
Après plusieurs discours révolutionnaires très intéressants prononcés par les citoyens Combault, Sévin, Sassin, Faillet, l’écharpe rouge a été attachée à la chaire à prêcher, transformée désormais en une tribune populaire. […]
Le club de la Révolution sociale sera quotidien.
Sur la proposition des citoyens Faillet et Combault, l’ordre du jour fixé par l’assemblée est celui-ci
La femme par l’Église et par la Révolution.

Si le style est différent, les informations sont les mêmes. Les noms ne sont pas tout à fait les mêmes, mais ils sont tout à fait masculins eux aussi. Nous avons déjà rencontré Amédée Combault (voir les articles sur l’Internationale) et Eugène Faillet (comme auteur d’une biographie d’Eugène Varlin, dans notre article du 19 mars), et bien entendu j’en sais beaucoup plus sur les hommes que sur les femmes…

Le propos du club est tout de même assez « féministe » (que l’on m’excuse cet anachronisme). Voyez le compte rendu d’une réunion tenue le 14 mai, dans Le Cri du peuple daté du 21 mai:

Le Club de la Révolution sociale, tenant séance à l’église Michel, a, dans sa séance du 25 floréal an 79 [14 mai], fait appel, par son vote, au concours de la municipalité du 17e arrondissement, à l’effet d’assurer une bonne et cordiale réception aux citoyennes dévouées pour le service des blessés sur le champ de bataille, citoyennes toujours acceptées avec bonheur par les chefs de bataillon, les officiers et les gardes, mais toujours repoussées, ou souvent du moins, par l’obstination systématique des chirurgiens-majors.
Le Club déclare que ce serait un acte de lèse-humanité de refuser le concours de ces braves et dévouées patriotes, alors que les combattants se plaignent amèrement, comme sous les autres gouvernements, de la pusillanimité du service médical et du manque de brancardiers.
En outre, le Club insiste pour que la municipalité et le chef de légion fassent connaître à chaque bataillon que des fourneaux sont établis et desservis par ces citoyennes, afin de délivrer les aliments cuits à nos braves gardes nationaux.
Le Club manifesté son mécontentement de l’opposition faite à ces braves filles du peuple par différents chefs de bataillon.

Pour les membres du Comité,
JULES SASSIN, COMBAULT, KLÉBBRT, LESCURE, SÉVIN.

Je ne sais pas quand « la maîtresse de Malon » est intervenue dans ce club, mais il est clair que les articles d’André Léo dans La Sociale, sur les neuf ambulancières notamment (voir cet article ancien et nos articles à venir les 5 mai et 7 mai) ont fait leur effet dans le dix-septième arrondissement. C’est clair mais… ce sont des hommes qui s’expriment.

La parole de « ces braves filles du peuple » est bien encadrée…

J’irai voir ailleurs!

*

Avec les auteurs réactionnaires, un dessinateur de la même eau, L. Scherer. Sa clubiste chiffonnière est au musée Carnavalet.

Livres cités

Thomas (Édith)Les Pétroleuses, Gallimard (1963), — réédition L’Amourier (2019).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879). 

Fontoulieu (Paul)Les Églises de Paris sous la Commune, Dentu (1873).

Cet article a été préparé en novembre 2020.