Je pensais vous raconter les arrestations de Francis Jourde (30 mai), de Paschal Grousset (3 juin), Gustave Courbet (6 juin), Louis Nathaniel Rossel (7 juin), Alexis Trinquet (8 juin), Gustave Maroteau (9 juin)…
Et puis, en cherchant les dates précises de celles de Victor Jaclard et d’Auguste Vermorel, j’ai lu Le Constitutionnel du 3 juin — ça aurait pu être un autre, c’est celui-là. Voici trois histoires que je laisse ce journal raconter. Voici trois inconnus.
Une fillette:
On a arrêté avant-hier, passage Colbert, une petite fille de huit ans qui se préparait à jeter du pétrole dans une cave. Arrêtée immédiatement, elle a dit aux soldats qui l’emmenaient:
Ah ! vous avez à faire, allez; nous sommes huit mille comme cela.
Voilà l’instruction, sans doute, que le citoyen Vaillant voulait donner à la jeunesse parisienne. Il faisait des petits phénomènes de cynisme.
L’enfant a donné quelques renseignements sur le bataillon de furies qui avait pour mission de faire de Paris tout entier un monceau de ruines. Elles étaient huit mille, tant femmes que filles, sous la haute direction du citoyen Ferré, qui les avait divisées en escouades commandées par des sergents et des caporaux femelles; chaque escouade avait son quartier respectif qu’elle devait incendier à mesure que les troupes régulières s’avanceraient dans Paris. Nous avons vu comment elles se sont acquittées de leur odieuse tâche.
On espère encore obtenir de l’enfant des renseignements plus complets.
Un tailleur:
Les arrestations continuent sur tous les points de Paris; et l’autorité militaire est en cela secondée avec empressement par la population, heureuse d’être délivrée.
Rue des Moineaux, n°9, on a arrêté un capitaine du 112e bataillon [c’est une rue qui a disparu avec le percement de l’avenue de l’Opéra, et c’est un bataillon du 1er arrondissement], tailleur de son état, auquel on demandait s’il avait pris part à l’insurrection:
J’ai fait mon devoir jusqu’au bout!
répondit-il. Cette réponse montre jusqu’à quel point le sens moral était détruit chez ces hommes qui appellent « faire leur devoir » mettre leur vie au service de l’assassinat, du pillage et de l’incendie.
Chez un charbonnier:
À Belleville, chez un charbonnier, on a trouvé un fédéré qui s’était blotti sous des sacs à charbon; il était là depuis trois jours, n’ayant mangé qu’un morceau de pain. Harassé de fatigue, il avait fini par s’endormir; ce sont ses ronflements qui l’ont fait découvrir.
Interrogé par les soldats qui ont procédé à son arrestation, il a répondu qu’il n’avait cessé de se battre que parce que son fusil ne marchait plus.
II a été fusillé.
Maintenant que vous êtes dans l’ambiance, je vous raconte l’arrestation de Paschal Grousset, selon le même journal, le lendemain 4 juin. Sachez d’abord qu’il a déjà été annoncé comme arrêté plusieurs fois. Mais cette fois c’est vrai. Je ne vous garantis pas que les détails soient exacts, mais nous n’avons pas d’autre source que cette presse…
ARRESTATION DE PASCHAL GROUSSET
Une capture importante a été faite hier samedi [le 3 juin, donc] par les soins de M. le commissaire de police Duret. — Après avoir répandu avec soin le bruit de sa fuite comme d’autres sans doute font répandre la nouvelle de leur mort, Paschal Grousset se cachait à Paris. La police était, depuis quelques, jours, à sa recherche, lorsque, sur de vagues indications que le hasard lui avait fournies, M. Duret finit par découvrir sa trace.
Dans la journée d’hier, il fouilla diverses maisons de la rue Condorcet. Au n° 39 de cette rue, dans un appartement occupé par une dame, il trouva Paschal Grousset sous un costume de femme, en robe noire, en corset, en chignon. Le membre de la Commune a été reconnu, arrêté et conduit, dans son grotesque accoutrement, à la mairie de la rue Drouot [la mairie du neuvième] pour être mis à la disposition du général Laveaucoupet. M. Duret, avec beaucoup d’adresse et sans bruit avait opéré cette arrestation, et n’avait pas eu besoin de la force armée. Il s’est aventuré seul dans l’appartement, armé d’un pistolet qu’il tenait caché sous son vêtement. — Les papiers du délégué aux affaires étrangères [Paschal Grousset était délégué aux relations extérieures] étaient cachés sur le baldaquin du lit. Le commissaire les a découverts et saisis.
C’est dans la mairie que Paschal Grousset a changé ses vêtements de femme pour reprendre le costume de son sexe. Puis il a été mis dans une voiture et dirigé sur Versailles. Le bruit de son arrestation s’étant répandu, on a eu toutes les peines du monde à préserver la voiture qui l’emporta des agressions de la foule. C’est surtout en passant dans la rue Royale, devant les ruines des maisons incendiées, que des cris de mort retenti:
Regarde, assassin, lui criait la foule exaspérée; il faut qu’il descende; il n’ira pas plus loin. À mort!… à mort!
Il a été possible, néanmoins à la voiture qui renfermait le prisonnier de se frayer un passage. Maintenant, Paschal Grousset est à Versailles; c’est là que que justice sera faite.
La découverte de ce membre important de la Commune donne lieu de penser que plusieurs de ses complices, que l’on croit morts ou en fuite, sont peut-être à Paris dans des situations qui n’ont rien d’héroïque. La police ne saurait déployer trop de zèle pour chercher dans tous les recoins; elle ne doit reculer devant aucune cachette ridicule ou répugnante.
Les gens qui ont ordonné la mort de tant d’innocents et qui se sont souillés des plus abominables crimes sont capables de toutes les ruses et de toutes les bassesses pour leur propre conservation.
*
Je ne sais pas si M. Lix était présent au passage de la voiture près de la Madeleine ou s’il a lu cet article et imaginé la scène. En tout cas, sûrement aussi véridique que le reste, voici, en couverture l’image que Le Monde illustré a publiée à la une de son numéro du 17 juin. Elle porte la légende:
La malédiction. — Arrestation de Paschal Grousset. — La foule veut l’arracher des mains de ses gardiens.
Cet article a été préparé en janvier 2021.