Ceci est, je m’en excuse, un article négatif. Un bref article de mauvaise humeur.
Je ne parle pas des bonheurs de ce printemps: les bonheurs, nous les avons vécus au fur et à mesure.
Mais de ses épreuves, eh bien, je n’en ai pas parlé…
Il y a eu…
oui, la pandémie, bien sûr, oui, le confinement, bien sûr
mais surtout
un débat absurde sur la commémoration, par la mairie de Paris, par d’autres politiques, mais, foutre, comme aurait dit le Père Duchêne, laissons la république versaillaise en marche patauger dans ses incapacités et ne lui demandons par de commémorer les communards! Est-ce que je commémore Napoléon, moi? Après la honte des politicards « réhabilitant » les communards… il nous fallait encore ça! Entre ceux qui disent que « la république, c’est Thiers » et ceux qui absorbent et récupèrent la Commune au nom… des lois Jules Ferry!
la bêtise d’un magazine qui tue tout un numéro de grande qualité sur l’histoire de la Commune par un bandeau de promotion politicienne, merci pour les auteurs!
et puis les journalistes férus d’histoire qui démontent l’idée reçue selon laquelle on a tué beaucoup de communards à Paris en mai 1871. On sait, disent-ils, qu’il n’y a eu que 6500 morts — ils savent!
On avait déjà entendu tout ça avant même le 18 mars.
Mais ce n’était pas fini. Il y a aussi les « amis » et leur fête foraine. Gardez-moi de mes amis!
car tout ça a été soutenu par des images colorées qui ridiculisent les communards, l’ouvrier orfèvre Léo Frankel en salopette avec un marteau, le directeur des postes Albert Theisz en facteur jovial brandissant une lettre pour Thiers, tous pareils, bien nourris, propres sur eux, après le barnum médiatique du 18 mars au Sacré-Cœur, où l’on a même entendu des « venez vous faire photographier avec Varlin » — à l’endroit même où il a été exécuté, il fallait oser, je vous jure que je l’ai entendu, je vous jure que je ne suis pas la seule que ça fait pleurer — ils ont trouvé leur place, dans L’Humanité, hélas, et juste à côté de mes articles quotidiens sur le site de ce journal, et à l’Hôtel de Ville, ça c’est normal, ces communards bcbg, ou bobos, ils ne font plus peur à personne!
J’ai publié dans un de ces articles du printemps un mot de Rossel sur les communards et leur aspect physique. Le revoici:
Parmi les bataillons que j’avais l’honneur de commander, certains étaient affligeants à voir. Des hommes débiles, laids, petits, difformes, dont l’uniforme faisait ressortir la mauvaise mine. En passant devant ces malheureux, je me disais: Ces gens ont raison de se battre; ils se battent pour que leurs enfants soient moins chétifs, moins scrofuleux, moins vicieux qu’ils ne sont eux-mêmes.
Lorsque j’ai tenté de faire lire cette citation de Rossel au jeune homme qui proposait, le 18 mars, de se faire photographier avec Varlin, il m’a déclarée malveillante.
Je lui dédie, amicalement, avec bienveillance, ces mots de Jean-Pierre Chabrol, qui aimait les communards, lui, à n’en pas douter. Florent Rastel, 17 ans, venu de sa campagne de Rosny, découvre le petit peuple de Belleville:
Tel est le peuple dans l’ordinaire. […] À Rosny, le peuple était le Prince Charmant de ce conte de fées: la Révolution. Au coin de la cheminée, l’Ancêtre me parlait de la liberté, de la République, de la Sociale, tout cela, le progrès et l’avenir ne pouvaient être l’œuvre que d’un seul artisan magnifique, le peuple, dont l’élite était la classe ouvrière. Je voyais les prolétaires en preux d’enluminure. Quand le petit esprit, l’avarice, la méchanceté, l’égoïsme et l’âpreté de nos voisins m’accablaient, je me disais: « Ceux-là ne sont que des paysans, mais il y a le peuple, le vrai, celui des ouvriers, il y a la classe toute neuve des fabriques de Paris, il y a le prolétaire pur, clair… »
Un soir que Vormier battait sa ménagère, que ce cocu de Plivart se laissait traiter par la sienne comme du poisson pas frais, tandis que Falle et Basticot s’allongeaient une raclée près d’une table sous laquelle Nous-les-Gueux ronflait ivre mort, je me suis raccroché à l’Ancêtre: « Les prolétaires, le peuple, dis, quand même! ce n’est pas ça!
— Mais si, mon petit, c’est ça! »
Et il souriait, le vieux!
*
L’image de couverture est la seule photographie que je connaisse d’Albert Theisz. C’était un ouvrier bronzier, il s’est habillé « en bourgeois » pour aller chez le photographe. La photographie en noir et blanc ne le montre pas, mais il était roux (flamboyant) et avait les yeux bleus. Il mesurait 1,58 m — il était petit, comme la plupart des ouvriers de son temps. Il a dirigé la poste pendant la Commune et en particulier n’a jamais porté d’uniforme de facteur. Il n’a jamais non plus écrit à Thiers et encore moins brandi une lettre à lui adressée — les versaillais ont tué un de ses frères…

J’aime beaucoup Albert Theisz, notamment à cause d’un beau texte que j’ai publié là, et j’en ai fait un des personnages principaux de mon roman Josée Meunier 19 rue des Juifs.
En faire un personnage de fiction n’empêche pas de le respecter.
Livres cités
Rossel (Louis), Papiers posthumes, recueillis et annotés par Jules Amigues, Lachaud (1871).
Chabrol (Jean-Pierre), Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).
Audin (Michèle), Josée Meunier 19 rue des Juifs, L’arbalète-Gallimard (2021).