Suite de l’article d’hier.

La collaboration avec les généraux de la Commune est plus difficile, comme le montrent les mésaventures de neuf ambulancières, fort mal accueillies par les officiers auxquels elles proposent leur aide. André Léo le raconte dans le journal La Sociale — où, deux jours plus tard, le 8 mai, elle adresse directement au général Dombrowski un cinglant « La révolution sans la femme », dans lequel on lit :

Qui n’a rien à gagner, immédiatement du moins, au succès de la Révolution? la femme encore. C’est de l’affranchissement de l’homme qu’il est question, non du sien.
Et quand, poussée par l’instinct sublime, qui entraîne heureusement en ce siècle tous les cœurs vers la liberté, elle offre malgré tout son dévouement à cette Révolution qui l’oublie, on la rejette avec insulte et mépris !…

Refusées par certains chefs, elles sont mieux accueillies par les « hommes ». Ce que confirment, par exemple, le récit de la cantinière Victorine Brocher et le rare témoignage de la guerre contre Paris que constituent les lettres de l’ambulancière Alix Payen, qui rejoint le 16 avril le bataillon de son quartier et de son mari. Des cantinières ou ambulancières sont félicitées, dans les journaux, par les gardes de leurs bataillons, Marguerite Lachaise et la citoyenne « Charles Rouchy » (c’est Victorine Brocher), dans le Journal officiel, bien d’autres dans Le Cri du peuple.

Quelques cantinières et ambulancières par bataillon, cela fait tout au plus un millier de femmes. Bien d’autres participent à la vie politique de ce printemps. Elles fréquentent massivement les clubs, féminins ou pas, qui réunissent tous les soirs des milliers de personnes, souvent dans des églises. C’est la partie la plus originale de cette révolution foisonnante. Ici, la parole est libre. On voudrait les écouter! Elles sont si passionnées, si « turbulentes », qu’il est à peine croyable qu’on en ait gardé si peu de traces. Des bribes… Des prêtres, outrés de l’usage qu’elles ont fait de « leurs » églises, transmettent des informations vagues, comme « on y exposait les doctrines impies de la libération de la femme ». C’est, dit un historien, la « révolte des pauvres, des exploités, des opprimés, contre les exploiteurs et les tyrans ». La citoyenne Rondier argumente en faveur du divorce, à Saint-Germain-l’Auxerrois, et convainc le journaliste du Cri du peuple. Mais on entend aussi:

Mon cœur de citoyenne craint que la faiblesse des membres de la Commune ne fasse avorter nos projets d’avenir.

On aimerait davantage de détails. Sur la citoyenne Valentin, sur tant d’autres. Sur « la flamme et le courage », la solidarisation, que favorisent ces réunions.

On en sait un peu plus des réunions sur l’éducation. La société des Amis de l’enseignement, à laquelle appartient Maria Verdure, réfléchit à la question des crèches et considère, bien sûr, préférable que les femmes ne travaillent pas pendant qu’elles allaitent, mais aussi que, puisqu’elles y sont obligées, il faut construire des crèches dans les quartiers populaires, ce qui fait deux articles du Journal officiel les 15 et 17 mai. « L’Éducation nouvelle » s’est adressée à l’assemblée communale à peine élue pour réclamer une éducation laïque, gratuite, obligatoire pour les enfants des deux sexes. L’adresse, signée de trois femmes, dont Maria Verdure, et de trois hommes, est publiée dans le Journal officiel le 2 avril. La délégation à l’enseignement collabore avec des groupes de femmes, ouvre une « école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles » rue Dupuytren le 12 mai, met en place une commission (André Léo, Anna Jaclard, Isaure Périer, Noémi Reclus, Anna Sapia) qui organisera l’enseignement dans les écoles de filles — mais c’est déjà le 21 mai… On lit cette information dans le Journal officiel le 22 mai.

La commission de l’enseignement décide aussi que, puisque les institutrices font le même travail que les instituteurs, elles toucheront la même paie, cela paraît discrètement dans Le Cri du peuple le 21 mai. L’égalité salariale est une question — même pour les enseignantes –, qui n’est mentionnée dans aucun procès verbal de l’assemblée communale.

Mais alors, qu’a fait la Commune « pour » les femmes ? Eh bien, elle (ce féminin est un masculin) a voté une indemnité pour les femmes et les enfants des gardes nationaux tués au combat. Ce qui est révolutionnaire, c’est que « femme » ne signifie pas « épouse » légitime. De même pour les enfants. Ce n’est pas qu’une mesure symbolique : le chômage est massif et la plupart des familles ouvrières ne vivent que de la solde d’un homme garde national.

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Il est vrai qu’ « ils n’ont pas eu le temps »…

Car déjà, ce 21 mai, l’armée versaillaise entre dans Paris. La semaine sanglante commence. Un journaliste communard rapporte l’existence d’une barricade de femmes à la défense de Montmartre. Ce n’est pas la seule. Les témoins, policiers notamment, font état de nombreuses femmes défendant des barricades, partout dans la ville. Voici, entre des milliers, Élodie Duvert, restauratrice rue Bonaparte, qui construit joyeusement la sienne :

Courage mes enfants, courage, dépêchez-vous, nous viendrons à bout de ces cochons de versaillais.

Elle réquisitionne dans la boutique de bondieuseries voisine des statues de saints qu’elle allonge en haut de la barricade, et qui protègent le peuple des balles…

Elles sont tuées sur les barricades, fusillées dans le massacre qui suit. Certaines sont violées — quelques historiens en parlent sur le moment… puis l’oublient. Omises comme actrices, elles sont encore omises comme victimes… La mention ci-dessus du fer rouge enc… une cantinière donne pourtant une idée de ce que les soldats étaient encouragés à faire.

Elles ont été peut-être un cinquième des victimes des massacres, moins parmi celles de la guerre entamée le 2 avril — plusieurs milliers de « mortes de la Commune » selon les décomptes les plus récents.

Certaines sont traînées à Versailles sous les crachats (et pire) des honnêtes gens et emprisonnées dans des conditions que plusieurs d’entre elles ont décrites, comme Émilie Noro, dont le témoignage, égaré, oublié, retrouvé, a été publié en 1913 et ré-oublié, ou Céleste Hardouin, une institutrice qui a publié le sien — à compte d’auteure.

Simultanément, elles sont devenues « pétroleuses ». La légende de ces hordes — imaginaires — de mégères armées de pots à lait pleins de pétrole, se glissant dans les rues pour mettre le feu aux maisons, terrorise les bourgeois et inspire les dessinateurs… Pourtant, au « procès des pétroleuses », les huit mille furies dont on avait fait tant de bruit se réduisent à cinq ouvrières, Eulalie Papavoine, Lucie Bocquin, Élisabeth Rétiffe, Joséphine Marchais, Léontine Suétens, ambulancières et cantinières qui n’ont fait que soigner des blessés. N’empêche, les trois dernières sont condamnées à mort (mais pas exécutées).

Les Tuileries ont bel et bien brûlé, « nous ne voulons plus de roi, nous n’avons pas besoin de château », belle parole de Nathalie Le Mel qui, face à ses juges, assume ses actes et ses opinions. Louise Michel aussi, qui a fait le coup de fusil sur les fortifications ou dans les forts du sud, et accède à la notoriété grâce à son procès. Elle, Nathalie Le Mel et d’autres sont déportées en Nouvelle-Calédonie.

Beaucoup d’autres prennent le chemin de l’exil. Encore plus anonymes sont celles qui, après avoir aidé des fugitifs traqués à quitter Paris, les rejoignent à Londres, à Genève ou ailleurs, et souvent travaillent, comme blanchisseuses ou femmes de ménage, pour nourrir leurs hommes au chômage.

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Puis, elles ou leurs descendantes ont inventé le mot « féminisme », la revendication « à travail égal, salaire égal » et celle du droit de vote, des combats pour le (ou les?) siècle(s) suivant(s). Une des détenues de Versailles, Herminie Cadolle, a témoigné contre un geôlier-tortionnaire et a inventé, plus tard… le soutien-gorge. Avant de pouvoir le jeter aux orties, il fallait qu’il ait remplacé le corset !

Mais, en 1871 déjà, elles ne manquaient pas d’imagination… Voici une femme âgée qui, dans un club de Montmartre, répond à un jeune homme qui vient d’exposer les buts de la Commune :

Il nous dit que la Commune va faire quelque chose pour que le peuple ne meure pas de faim en travaillant. Eh bien ! vrai, ce n’est pas trop tôt! Car voilà quarante ans que je suis laveuse et que je travaille toute la sainte semaine, sans avoir toujours de quoi me mettre sous la dent et payer mon terme. Et pourquoi donc que les uns se reposent du Jour de l’an à la Saint-Sylvestre, pendant que nous sommes à la tâche? Est-ce juste? Il me semble que si j’étais le gouvernement, je m’arrangerais de manière à ce que les travailleurs puissent se reposer à leur tour. Si le peuple avait des vacances comme les riches, il ne se plaindrait pas tant, citoyens.

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La belle aquarelle de Daniel Vierge représentant « Trois pétroleuses: Marchais, Suetens et Rétiffe » (au procès desquelles nous assisterons bientôt) est au musée Carnavalet.