Le polytechnicien du jour est Louis Nathaniel Rossel, né en 1844 et entré à l’École polytechnique en 1862. Il a commencé une traditionnelle carrière d’officier de l’armée française. Pour changer et gagner du temps, je copie quelques phrases sur sa fiche d’ancien élève:

Capitaine du génie à l’armée de Metz en 1870, il s’oppose à la reddition de la ville alors encerclée, et présente en vain à Bazaine un rapport démontrant la vulnérabilité de l’armée prussienne. Il quitte la ville assiégée pour rejoindre le gouvernement de Défense nationale à Tours, et propose une manoeuvre permettant d’éloigner l’ennemi loin de ses bases, celle-ci fut écartée. Partisan de la guerre à outrance, il offre ses services à la Commune de Paris le 19 mars 1871.

Nous l’avons vu sur ce site au printemps dernier délégué à la guerredialoguant avec André Léo, expliquant son engagement au Times, (voir ce dernier article pour en savoir un peu plus que ce que nous dit la « famille polytechnicienne »). Il a démissionné, s’est caché. Il a été dénoncé (aux versaillais) et arrêté le 8 juin.

Le voici, le 8 septembre 1871, devant le 3e conseil de guerre, celui-là même devant lequel il a témoigné, la veille (au procès de Georges Cavalier), mais dans une salle plus grande, retour aux Grandes Écuries, l’armée française juge un de ses brillants jeunes cadres, il y a davantage de public.

Extrait:

Rossel. — Mon colonel, je jugeais la paix qui venait d’être conclue comme pernicieuse pour la France. Voyant ce mouvement [la Commune] se produire, il me parut qu’il serait toujours tourné finalement contre les Prussiens.
Le Président. — Une insurrection se produit contre le gouvernement régulier, et vous, militaire, vous n’hésitez pas, vous allez tout droit à l’insurrection. Vous êtes intelligent, vous deviez bien penser que la garde nationale, insurgée contre l’armée régulière, ne suffirait pas à chasser les Prussiens.
Rossel. — Sans doute, mais ce mouvement, devenant révolutionnaire, devait aboutir à la rupture de la paix et amener l’expulsion des Prussiens.
Le Président. — Ainsi vous n’avez pas agi par ambition personnelle?
Rossel. — Non, mais pour l’amour de mon pays.

Il répond aussi à la question de savoir si ses troupes étaient indisciplinées:

Aussi indisciplinées que possible. C’était surtout l’ivrognerie et le changement fréquent des chefs qui désorganisaient tout.

Plusieurs officiers témoignent en faveur de Rossel — c’était un excellent officier, disent-ils tous — très exalté par les malheurs de la guerre. Le général Clinchant:

Il [Rossel] était très-exalté et très-patriote. C’était un homme d’un caractère très-entier et très-résolu dans ses desseins et dans leur exécution.

L’accusé a-t-il quelque chose à ajouter pour sa défense?

Je veux dire que malgré mes convictions très-rigides, le sentiment que j’ai éprouvé n’a pas été moins amer et moins cruel en me séparant de cette armée au sein de laquelle j’étais né […] Cette séparation, quoique volontaire, a été pour moi un déchirement profond. Encore aujourd’hui, ce qu’il y a de plus pénible pour moi, c’est de me voir juger par cette armée que j’ai combattue, mais que je n’ai jamais cessé d’aimer et de respecter.

Il est défendu par Me Albert Joly, que nous avons vu défendre Ulysse Parent au « procès des membres de la Commune » (et, sans top de mal, le faire acquitter). Au cours des débats, il y a eu une intéressante interruption du président, Merlin, qui a fait remarquer à Me Joly que « tous les officiers qui étaient à Metz ont souffert » — et pas seulement Rossel. En effet, ce militaire, ancien polytechnicien lui aussi, s’était laissé faire prisonnier à Metz, et il a dû considérer le refus de Rossel comme une insulte personnelle. J’ajoute que c’était aussi le cas de l’accusateur public, Gaveau, prisonnier libéré par les Prussiens pour pouvoir participer à la guerre contre la Commune.
Mais revenons à la défense de Me Joly.

Il explique que le mot « ennemi » ne peut s’appliquer à des « rebelles armés » — et qu’on ne peut donc appliquer l’article 238 du code de justice militaire et condamner Rossel à mort pour « désertion face à l’ennemi ».

Rossel est condamné à mort.

Mais ce n’est pas terminé. Le 22 septembre, le Conseil de révision statue sur un pourvoi déposé par Rossel et annule cette condamnation, parce que le conseil de guerre a omis de statuer sur les conclusions de Me Joly. Rossel est donc renvoyé vers le 4e conseil de Guerre.

Il y a donc un deuxième procès, qui a lieu le 7 octobre. À l’issue duquel le conseil décide que « rebelles armés » vaut « ennemi » et que l’article 238 s’applique.

De sorte que Rossel est, une deuxième fois, condamné à mort.

Il y a encore un conseil de révision, le 26 octobre, qui rejette à l’unanimité le nouveau pourvoi. Il y a ensuite un pourvoi en grâce, il y a toute une campagne, notamment d’étudiants (Rossel est un ancien polytechnicien et n’a que vingt-sept ans) et de protestants (Rossel vient d’une famille protestante).

Rossel, condamné à mort le 8 septembre et le 7 octobre, est exécuté le 28 novembre (voir notre article du 27 novembre) — et non pas le 22, comme le croyait le site des anciens élèves de l’École polytechnique la dernière fois que je l’ai consulté.

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L’image de couverture, signée E. C., vient du Musée Carnavalet. La légende contient au moins une erreur (Louis Nathaniel Rossel est né le 9 septembre 1844 et pas 1841).