Georges Cavalier est né à Tours le 27 janvier 1842. À l’âge de 19 ans, il est entré à l’École polytechnique, puis a choisi l’École des Mines plutôt qu’une carrière militaire. Il était donc ingénieur. Dix ans après, le voici devant le troisième conseil de guerre.
Entre temps, sous l’empire, il a collaboré à plusieurs journaux républicains, La Rue (nous l’avons vu sur la caricature de Gill qui illustrait notre article consacré à ce journal) et La Marseillaise (voir par exemple cet article), notamment. C’est son ami Jules Vallès qui lui a trouvé le surnom de « Pipe-en-Bois ». Ce surnom et le bruit qu’il est réputé avoir fait lors de telle ou telle représentation théâtrale lui ont valu une réputation de tapageur. Ce qui ne l’empêchait pas d’être ingénieur chez Cail. Après le 4 septembre, il a été à Tours, puis à Bordeaux, secrétaire de Gambetta au ministère de l’Intérieur.
Il est arrivé à Paris le 19 mars et a accepté, le 7 avril, le poste d’ingénieur des voies et promenades publiques que lui proposaient ses amis de la Commune.
Arrêté le 28 mai, le voici donc devant le conseil de guerre, celui qui vient de « juger » longuement les « membres de la Commune » et les « pétroleuses » (voir nos articles précédents). Cela va beaucoup plus vite.
La séance commence à midi et quart. Le capitaine rapporteur rappelle la réputation d’ « orateur d’estaminet » de l’accusé, ce qui lui permet d’accuser aisément Cavalier de violences.
Georges Cavalier explique, avec calme et aisance, semble-t-il:
Je n’ai accepté des fonctions que lorsqu’un vote général provoqué par les maires et les députés de Paris eut constitué la Commune. Je les ai acceptées le 7 avril et seulement à titre provisoire parce que ce service intéressait essentiellament la salubrité de Paris.
Les immondices s’accumulaient, et après un siège, cela présentait les plus graves inconvénients, et ces questions de pavage et d’arrosage avaient une importance incontestable au point de vue de la santé publique. Dans ce moment, l’administration centrale n’existait plus Paris, et c’était pour moi une raison de plus d’accepter.
La Commune a été élue régulièrement, dit-il, et Thiers avait saboté ce service comme les autres en convoquant les responsables à Versailles. Rien de plus vrai.
Parmi les témoins cités, je note qu’il y avait Gambetta, avec qui Cavalier avait travaillé plusieurs mois, et que, devinez quoi, Gambetta ne s’est pas déplacé. Adolphe Alphand, qui sous l’empire avait créé les jardins publics, au Châtelet et aux Buttes-Chaumont, et dont Cavalier avait occupé la place (vacante), lui, est venu témoigner. Il y avait aussi le « camarade polytechnicien » Rossel, qui allait être jugé (c’est-à-dire condamné) le lendemain par le même conseil de guerre. Voici un extrait du dialogue entre le président et « le témoin », Rossel ici, donc. Des pavés et des fleurs…
Le président. — Tout porte à croire qu’il avait avec la délégation de la guerre des relations suivies; il existe au dossier une lettre dans laquelle on lui répond négativement à une demande d’emprunt d’un plan des égouts de Paris.
Le témoin. — La commission des barricades dont faisait partie Gaillard père dévalisait les dépôts de pavés. M. Cavalier me fit à cet égard des réclamations.
Le défenseur. — Ne s’occupait-il pas aussi de détruire les barricades inutiles?
Le témoin. — Sans doute, M. Cavalier ne s’occupait que de la conservation des fleurs municipales; il y avait un dépôt de ce genre à la Muette, et il m’a fait demander une autorisation et les moyens de le transporter ailleurs. Je sais qu’il est arrivé à Gaillard de requérir le personnel et les voitures de M. Cavalier; celui-ci réclama auprès de moi pour y échapper, mais je ne donnai pas suite à sa demande.
J’imagine que les articles précédents vous ont montré comment « jugeaient » ces conseils de guerre. Je ne serai donc pas beaucoup plus longue — le conseil de guerre a d’ailleurs été relativement bref: à cinq heures et quart, Georges Cavalier, qui ne s’occupait que des fleurs municipales, était condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée.
ll n’est jamais arrivé en Nouvelle-Calédonie: enfermé à Fort-Boyard, il a écrit et répété que sa tâche avait été indispensable pour la salubrité de la ville et sa peine a été commuée (en bannissement), et il est parti pour la Belgique. Il en a été expulsé en 1876. Apparemment, il est parti pour Mulhouse (qui était alors en Allemagne…) où il a vécu avec son épouse. Ah oui! car il avait une femme. Elle s’appelait Camille Arkwright et était employée de commerce quand ils se sont mariés le 21 décembre 1867. Ils avaient eu plusieurs enfants, dont il était allé déclarer la naissance de l’aînée, de mère non dénommée, un an avant le mariage — Camille avait reconnu la petite avant de se marier. On n’en parle pas, mais sa femme et ses enfants l’ont suivi, je suppose en Belgique, où est née la quatrième, puis à Mulhouse, qui est le « domicile conjugal » indiqué sur l’acte de décès de Georges Cavalier.
Malade (un journal dit qu’il se mourait « de consomption »), il a demandé et obtenu l’autorisation de rentrer en France en 1878. Il est mort chez sa mère, dans le dix-septième arrondissement de Paris, le 25 octobre 1878. Il avait trente-six ans. Il a été inhumé deux jours plus tard au cimetière parisien de Saint-Ouen. Puisque j’ai lu des actes d’état civil, laissez-moi ajouter que la mère de cet homme réputé si laid se nommait Marie Madeleine Alexandrine Beau.
*
La caricature de Klenck, dans la série « La Commune », vient du Musée Carnavalet et montre Cavalier au travail, avec ses arrosoirs!