Je reviens brièvement sur le procès à grand spectacle qui s’est achevé le 2 septembre.
Le 30 août, Me Lachaud, le célèbre avocat, qui défendait Gustave Courbet, glisse dans sa plaidoirie:

Et, d’ailleurs, serait-il le premier de la Commune qu’on aurait innocenté? On a donné un passeport à un vieillard d’opinions exaltées, M. Charles Beslay, en considération de ses services; on en a donné un à M. Theisz, et à d’autres, pour le même motif.

Le lendemain, c’est Me Caraby, le défenseur de Jourde, qui dit:

Si vous poursuivez Jourde, vous auriez dû poursuivre MM. Beslay, Theisz, et bien d’autres.

Charles Beslay aurait défendu la Banque de France, Albert Theisz aurait empêché que l’Hôtel des Postes soit incendié, Thiers leur aurait accordé un sauf-conduit… On le disait déjà au mois d’août, je cite L’Avenir libéral daté du 18 août:

Le chef du pouvoir exécutif avait donné à la nation l’assurance formelle qu’il ne serait accordé nulle pitié aux chefs de l’insurrection de Paris; mais qu’on ferait preuve d’indulgence pour les simples comparses de cette abominable Commune.
Or, au lendemain de l’insurrection, le citoyen Beslay, qui est l’un des fondateurs de cette Internationale qu’on vilipende à tort ou à raison, qui a été le premier président de la Commune, a pu quitter la France à l’aide d’un passeport dûment signé, paraphé et légalisé!
Or, le citoyen Theisz, directeur des postes sous la Commune a également filé à l’étranger, muni d’un sauf-conduit qui défiait toutes les gendarmeries du monde!

L’argument a été repris par Adolphe Assi au procès, le 1er septembre:

MM. Theisz et Beslay étaient de l’Internationale; vous voyez bien que tous les membres de cette Société ne sont pas terribles. 

Et Francis Jourde, encore le 2 septembre:

M. Theisz, aux Postes, était mon subordonné au même titre que M. Beslay à la Banque. Tous deux ont été exemptés de toute accusation, et je ne puis m’empêcher de remarquer, que moi, qui étais leur chef, je suis poursuivi, alors que ma conduite a été la même que la leur.

Cette histoire de passeport, ou de sauf-conduit a été répétée et répétée par toute la presse.

Et voici Albert Theisz qui réagit. Il écrit — de Londres — il est à Londres, les journaux parisiens l’ont appris et annoncé depuis longtemps — à La Constitution, qui publie sa lettre, que d’autres journaux reprennent. La voici, selon La France du 16 septembre (je cite tout l’article en vert):

UNE LETTRE DU CITOYEN THEISZ

Plusieurs journaux avaient raconté que, lors de l’entrée des troupes dans Paris, au mois de mai dernier, le gouvernement avait accordé des sauf-conduits à MM. Beslay et Theisz voulant ainsi reconnaître les services que ces deux membres de la Commune avaient pu rendre, chacun dans leur sphère, à la cause de l’ordre.
M. Theisz proteste un peu tard contre cette version [Évidemment, Albert Theisz a attendu la fin du procès — il sait que ses amis se défendent comme ils peuvent et ne veut certainement pas démentir Jourde avant le verdict, par exemple.], et prétend avoir pu fuir, grâce au concours d’amis dévoués [C’est en effet le cas — peut-être ces amis étaient-ils ceux présentés dans Josée Meunier 19 rue des Juifs.].
Voici, du reste, la lettre qu’il adresse à ce sujet au journal la Constitution:

Londres, le 11 septembre.
Monsieur le rédacteur,
Le procès de mes collègues de la Commune étant terminé, je me crois obligé de répondre aux diverses assertions qui ont été produites sur mon compte, et je vous prie de m’accorder à cet effet l’hospitalité dans votre journal.
À la suite de notre défaite, un certain nombre de journaux ont affirmé que j’avais reçu du gouvernement un sauf-conduit pour me rendre a l’étranger; devant le 3e conseil de guerre, plusieurs avocats, dans l’intérêt de leurs clients, ont cru devoir se faire l’écho de ces bruits; enfin un journal anglais, le seul qui, avec le bonapartiste Standard, partage ici le glorieux privilège d’insulter et de calomnier les vaincus de la Commune, le Daily Telegraph annonce que je vis tranquillement à Paris, et que chaque jour je passe quelques heures au Café de Madrid.
À tous ces propos, j’oppose le plus formel démenti.
Je n’ai reçu du gouvernement de Versailles ni sauf-conduit ni passe-port, et ce n’est qu’avec l’aide d’amis dévoués qui m’avaient donné asile que, le 29 juillet seulement, j’ai pu quitter Paris, me rendant à Londres, où, pour me procurer les moyens de vivre honorablement, j’ai repris ma profession de ciseleur. Je regrette que tous ces propos me contraignent à des explications, que je désirais ajourner à des temps meilleurs; mais, puisque mon nom a été mis en cause, il faut bien que je prenne la parole au moins pour repousser tout compromis avec ceux qui ont traité Paris en ville conquise, pour le punir d’avoir voulu combattre l’étranger et d’avoir revendiqué ses droits communaux, — avec ceux qui ont souillé le nom de la République en l’accolant a un régime bâtard qui dépasse le despotisme des Bonaparte.
À quel titre aurais-je demandé merci aux hommes qui ont étranglé la révolution sociale a laquelle se rattachent mes convictions, et porté dans ma famille le deuil et la douleur [Pensons ici à Félix Theisz, le frère d’Albert tué dans la guerre civile menée par Versailles.]?
Nommé directeur des postes par la Commune, seul pouvoir dont je relevais directement, j’ai rempli consciencieusement mon mandat, et si j’ai prêté mon appui aux propositions faites par les Chambres syndicales du commerce parisien, dans l’intérêt du service postal, je n’ai jamais pris part aux tentatives de conciliation, car j’étais convaincu que, dans la lutte du peuple contre les hommes de mauvaise foi qui l’exploitent , il n’y a de conciliation que par son triomphe.
Membre de la Commune, j’ai fait partie de la minorité, parce que la ligne de conduite, adoptée par la majorité, était contraire à mes principes anti-autoritaires, et qu’elle me paraissait compromettre la Révolution, dont je désirais le triomphe; mais, quelle que fût mon opinion sur la valeur des hommes, je suis resté fidèle à la Commune et aux idées fédéralistes et socialistes qu’elle avait mission de représenter et de réaliser. Quoique ennemi de la guerre, et surtout de la guerre civile, j’ai pris part a la lutte jusqu’au dernier jour; j’étais auprès de Vermorel lorsqu’il fut blessé à la barricade du Château-d’Eau [La fidélité d’Albert Theisz à son amitié avec Vermorel ne se démentit jamais.].
Comment aurait-on pu épargner le membre de la Commune, alors que l’on emprisonnait une foule de citoyens dont le seul crime est d’avoir appartenu à la garde nationale? Je n’ai rien demandé au gouvernement de Versailles et il ne m’a rien proposé: voilà la vérité.
Exilé de mon pays, éloigné de ma famille, j’ai conservé au moins toute ma liberté d’appréciation sur les derniers événements, et je suis resté fidèle à mes convictions d’autrefois et à ma foi dans le triomphe final des revendications populaires.
Agréez, monsieur le rédacteur, etc.
A. THEISZ.

*

J’ai trouvé l’image de couverture au Musée Carnavalet. Deux remarques. Les Anglais appellent tout simplement « communists » les communards (ou communeux?), ce qui est à la fois naturel et non péjoratif (ce qui n’empêche pas l’image de l’être — péjorative). D’autre part, je ne reconnais personne sur cette image, beaucoup de « communistes » étaient encore cachés à Paris le 17 juin (dont Albert Theisz).