Profitons-en pendant que c’est encore possible, ce journal va bientôt être interdit: je cite encore Le Rappel pour ce procès.

Il se tient le 20 novembre et, comme les procès de presse précédents (Rochefort, Mourot, Maret, Maroteau), devant le troisième conseil de guerre.

Vermesch [sic, je rétablis l’orthographe Vermersch dans la suite], Vuillaume et Humbert, rédacteurs du Père Duchêne, sont poursuivis comme complices de tous les méfaits reprochés à la Commune. C’est sur les conseils de ce journal que les égarés de l’émeute auraient, — au dire de l’accusation, — pillé, incendié les monuments et les maisons des particuliers, exécuté les otages, continué la lutte à outrance contre l’armée de Versailles.
Deux des accusés, Vermersch et Vuillaume, font défaut.

À ces dates, Maxime Vuillaume était déjà à Genève (il y était au moins depuis le 17 juillet, voir Mes Cahiers rouges). Eugène Vermersch, lui, était à Londres.

Humbert est seul assis au banc des accusés.
L’accusation est soutenue par M. le commandant Gaveau [toujours lui…]. L’organe du ministère public n’y va pas par quatre chemins et demande la condamnation suprême pour Humbert.
La complicité de l’accusé est suffisamment démontrée pour lui par le seul fait de sa collaboration au journal incriminé.
Me Maillard défend chaleureusement cet infortuné et répond à l’accusation que la preuve par elle est insuffisante. Il ne suffit pas d’avoir porté de la copie à un journal pour être responsable de tous les articles publiés par ce journal. Humbert ne doit répondre que des articles qu’il a écrits. Or, durant le premier mois de la Commune, Humbert était absent de Paris. Il était à Dijon.

Dans le compte rendu du Siècle, il dit au contraire avoir participé au journal seulement du 12 au 28 mars. Un des témoins cités « à titre de renseignement » est Gaston Dacosta, détenu à l’Orangerie de Versailles. Je cite Le Siècle:

Le témoin dit qu’il connaît l’accusé depuis cinq ans, et qu’il l’a toujours connu comme un caractère enthousiaste, ardent, énergique.
D [=Demande]. — Quel est celui qui a donné l’ordre d’arrêter Gustave Chaudey?
R. — Cet ordre a été envoyé de l’Hôtel de Ville à Raoul Rigault.
D. Il est établi pourtant que Chaudey a éti arrêté sur l’instigation du Père Duchêne.
L’accusé Humbert. — Le citoyen Dacosta…
M. le commissaire du gouvernement. — Dites M. Dacosta ou Dacosta tout court; mais dispensez-vous de votre citoyen.
R. — Eh bien, oui! Dacosta, si vous voulez, peu importe…
M. le président. — Accusé, je vous invite à prendre une autre attitude; celle que vous affichez n’est point convenable, autrement je vous interdirai la parole. Vous êtes ici sous notre autorité, le droit de diriger les débats n’appartient qu’à nous.
R. — Je ne conteste pas votre droit, mais…
D. — Allons, veuillez vous asseoir; vous n’avez pas la parole. 

Je ne résiste pas à citer encore une phrase de ce compte rendu, du Siècle, donc:

M. Gaveau, commissaire du gouvernement, a la parole. Il remonte au déluge, il parle de 93, il parle de Hébert, il parle des sans-culottes, etc., etc. Bref, il fait le procès à la révolution et aux révolutionnaires de 93. Puis revenant, au débat actuel, M. le commissaire du gouvernement donne lecture d’un grand nombre de passages du Père Duchêne de 1871.

Je passe… et reviens au Rappel

Il est force numéros du Père Duchêne qu’il n’eût pas voulu signer. Il dénonce lui-même les articles qu’il a écrits. Eh bien, lisez ces articles et pesez sa part de responsabilité. La loi de 1819, qui, du reste, n’a jamais été appliquée, ne va pas jusqu’à faire peser la responsabilité des articles dangereux sur le rédacteur qui n’a fait que passer dans un journal, celui qui n’est pas le rédacteur en chef, le propriétaire, l’âme du journal.
Mieux encore que son avocat, — qui pourtant a très bien plaidé, — l’accusé présente quelques observations en fait et en droit, très claires, très nettes et qui le disculpent tout à fait.
M. Gaveau, craignant peut-être que cette défense pût émouvoir le conseil, interrompt l’accusé une première fois pour lui dire :

de ne pas s’adresser à lui

et une seconde fois pour lui faire observer que

devant un conseil de guerre on ne parle pas en mettant une main dans la poche.

Le Conseil a délibéré longuement, une heure et demie. C’est que le questionnaire à répondre était long, le Père Duchêne étant accusé de complicité dans tous les faits reprochés à la Commune. Cette longue série d’accusations finit même par tourner en queue de poisson. En effet les derniers crimes dont le fameux bon b… s’est fait le complice sont:
Le manque de respect au chef de l’État;
Les injures à l’Assemblée nationale;
Et des outrages à la religion de l’État.

*

J’aurais pu entendre mal, mais le délit d’outrages à la religion de l’État est visé trois fois.
Une fois pour chacun des rédacteurs du Père Duchêne.
Trop de zèle.
Il y a là un motif sérieux à cassation.

*

À l’exception de quelques faits pour lesquels d’autres accusés ont payé leur dette aux Conseils de guerre, les accusés sont reconnus coupables de la complicité reprochée à leur journal.
Vermersch et Vuillaume, coutumax, sont condamnés à la peine de mort.
Humbert est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

*

La photographie d’Alphonse Humbert que j’ai utilisée en couverture vient du site de Northwestern University.