Nous voici arrivés aux dernières étapes du procès de Louise Michel. Nous sommes toujours le 16 décembre 1871, devant le sixième conseil de guerre. Et je suis toujours le compte rendu de La Gazette des tribunaux (en vert). Nous en sommes à l’audition des témoins.

On entend d’abord la femme Poulain, marchande.

M. le président: Vous connaissiez l’accusée? Vous savez quelles étaient ses idées politiques? — R. Oui, monsieur le président, et elle ne s’en cachait pas. Très exaltée, on ne voyait qu’elle dans les clubs; elle écrivait aussi dans les journaux.
[En voilà, un « témoignage »! je suppose que, pour dire ça, cette dame allait dans tous les clubs et qu’elle lisait si bien les journaux qu’elle y reconnaissait les articles (non signés) de Louise Michel! Les questions qui suivent sont aussi remarquables: c’est le juge qui énonce le fait, le témoin n’a qu’à dire oui…]
— D. Vous l’avez entendue dire, à propos de l’assassinat des généraux: « C’est bien fait! » — R. Oui, monsieur le président.
Louise Michel: Mais j’ai avoué le fait, c’est inutile que des témoins viennent le certifier.

Femme Botin, peintre. 
M. le président: Louise Michel n’a-t-elle pas dénoncé un de vos frères pour le forcer à servir dans la garde nationale? — R. Oui, monsieur le président.
Louise Michel: Le témoin avait un frère, je le croyais brave et je voulais qu’il servît la Commune.
M. le président (au témoin): Vous avez vu l’accusée un jour dans une voiture se promenant au milieu des gardes et leur faisant des saluts de reine, selon votre expression? — R. Oui, monsieur le président.
Louise Michel: Mais cela ne peut pas être vrai, car je ne pouvais vouloir imiter ces reines dont on parle et que je voudrais toutes voir décapitées comme Marie-Antoinette. La vérité est que j’étais tout simplement montée en voiture parce que je souffrais d’une entorse qui était la suite d’une chute faite à Issy.

La femme Pompon, concierge, répète tout ce qui se racontait sur le compte de l’accusée. On la connaissait comme très-exaltée.

Cécile Denéziat, sans profession, connaissait beaucoup l’accusée.
M. le président: L’avez-vous vue habillée en garde national? — R. Oui, une fois, vers le 17 mars.
— D. Portait-elle une carabine?
— R. Je l’ai déjà dit, mais je ne me rappelle pas bien ce fait.
— D. Vous l’avez vue se promenant en voiture, au milieu des gardes nationaux? 
— R. Oui, monsieur le président, mais je ne me rappelle pas exactement les détails de ce fait.
— D. Vous avez aussi déjà dit que vous pensiez qu’elle s’était trouvée au premier rang quand on avait assassiné les généraux Clément Thomas et Lecomte?
— R. Je ne faisais que répéter ce qu’on avait dit autour de moi.

[Décidément, ces témoignages sont concluants!!!]

M. le capitaine Dailly prend la parole. Il demande au Conseil de retrancher de la société l’accusée, qui est pour elle un danger continuel. Il abandonne l’accusation sur tous les chefs, excepté sur celui de port d’armes apparentes ou cachées dans un mouvement insurrectionnel.
Me Haussmann, à qui la parole est ensuite donnée, déclare que devant la volonté formelle de l’accusée de ne pas être défendue, il s’en rapporte simplement à la sagesse du Conseil.

M. le président: Accusée, avez-vous quelque chose à dire pour votre défense?
Louise Michel: Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez Conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c’est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères.
Il faut me retrancher de la société; on vous dit de le faire; eh bien! le commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces…
M. le président: Je ne puis vous laisser la parole si vous continuez sur ce ton.
Louise Michel: J’ai fini… Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi…

Après ces paroles, qui ont causé une profonde émotion dans l’auditoire, le Conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance, et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l’unanimité condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée.
On ramène l’accusée et on lui donne connaissance du jugement. Quand le greffier lui dit qu’elle a vingt-quatre heures pour se pourvoir en révision:

Non! s’écrie-t-elle, il n’y a point d’appel; mais je préférerais la mort!

*

Il est assez légitime de se demander pourquoi elle n’a été condamnée qu’à cette peine relativement légère — par comparaison avec la peine de mort et surtout avec les travaux forcés, le bagne. Nous avons vu les « pétroleuses » condamnés à mort ou au bagne, ce fut aussi le cas, quelques mois plus tard, de Marguerite Lachaise (toutes ces peines de mort sont commuées en travaux forcés), d’ailleurs elle aussi par le sixième conseil de guerre. Dans ce dernier cas, c’est l’exécution de Beaufort qui était en cause. La participation de Louise Michel à l’exécution de Lecomte et Clément Thomas n’aurait-elle pas été prise au sérieux?
Ou alors, cette institutrice, qui peut-être écrit dans les journaux et qui s’exprime si facilement, méritait d’être traitée avec plus d’égards que ces ouvrières?

Le procès est fini!
Je clorai cette série d’articles par une courte conclusion

La perpétuation de la légende « la Commune, c’est Louise Michel » est, je trouve, gênante pour la connaissance et la compréhension de l’histoire — foisonnante — de la Commune. Mais j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour Louise Michel! Et j’aime beaucoup la photographie que j’ai utilisée en couverture de cet article, et que, je l’ai déjà dit, je trouve très belle (voir cet ancien article).