La mention, dans un article précédent, du fait qu’une biographie de Louise Michel a été lauréate d’un prix « Héroïne de l’année » du magazine Madame Figaro (« Beauté, Mode, Société, Bien-être, Voyages, Bons plans, Cuisine d’été »), m’a incitée à aller regarder ce que le quotidien Le Figaro avait écrit sur Louise Michel… quelques années auparavant.

Ainsi, le cent treizième article publié sur ce site sera (enfin) consacré à Louise Michel.

En 1871,

  • l’adresse du Figaro est rue Rossini (le patronage de Rossini semble en effet avoir été plus adapté que celui de Beaumarchais).
  • Louise Michel est emprisonnée depuis le 24 mai 1871 (elle s’est livrée en échange de la libération de sa mère), successivement à Satory, à la prison des Chantiers, à la maison de correction de Versailles, à la prison d’Arras. Elle est jugée le 16 décembre, puis envoyée à la prison d’Auberive.

6 août 1871. Le journal est sur Gallica, là, je ne mets pas de lien sur chaque numéro!

… une libre penseuse dont il fut beaucoup parlé avant et pendant le siège, madame Louise Michel, que les mauvais plaisants appellent l’amère Michel, en raison de la violence de son socialisme. [… Louise Michel aurait dit à Madame Jules Simon:]

« […] qu’on me transporte à la Nouvelle-Calédonie; j’y trouverai, plus qu’ici désormais, du bien à faire! »

Se figure-t-elle par hasard qu’elle a fait du bien ici?

18 décembre 1871, compte rendu de l’audience du tribunal du 16 (Ferré a été exécuté à Satory moins de trois semaines auparavant, le 28 novembre).

C’est une femme d’une quarantaine d’années, à la physionomie dure, aux yeux hagards, à la parole sèche et mordante. Elle est vêtue de noir, et ne prend place sur le banc des accusés qu’après avoir jeté à la foule et au conseil des regards de défi. […]

Elle répond brièvement aux questions que lui adresse M. le Président sur son identité par oui ou par non, sans dire monsieur. Bien heureux est encore le colonel Delaporte de ne pas s’entendre appeler citoyen! […]

Elle avoue tout, elle conclut par (je cite l’article citant Louise Michel):

Ce que je réclame de vous, vous qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas, comme la commission des grâces, vous qui jugez visages découverts, c’est le champ de Satory, où déjà ont été frappés mes frères. Je vous demande de me retrancher de la société, puisqu’il paraît que tout cœur qui se bat pour la liberté n’a droit qu’à du plomb. J’en réclame ma part! Si vous me refusez, ma vie entière, je crierai: Vengeance, et je dénoncerai aux coups de mes frères les assassins de la commission des grâces.

Ça ne plaît pas au président… elle ajoute:

Eh bien! si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi!

Ça ne plaît pas non plus au journaliste, un Monsieur de Pont-Jest — cette fois, c’est bien lui que je cite:

[…] L’ex-institutrice est bien certainement en proie à une de ces crises de l’hystérie révolutionnaire […] En entendant ce jugement [déportation dans une enceinte fortifiée], Louise Michel s’écrie: J’aurais mieux aimé la mort! et elle traverse la cour […] en jetant autour d’elle des regards de colère et de mépris.

Inutile d’ajouter que cette triste héroïne, fidèle à son rôle, a refusé de se pourvoir en révision.

27 décembre 1871.

… l’aimable institutrice qui répond au nom de Louise Michel et qui vient d’être condamnée aux travaux forcés à perpétuité, à cause de ses sympathies trop vives pour le pétrole…

Elle est embarquée sur la Virginie le 24 août 1873, débarquée à Nouméa le 10 décembre 1873.

En 1880,

  • après l’amnistie, Louise Michel arrive (à Paris à la gare Saint-Lazare) le 9 novembre 1880.
  • Le Figaro est maintenant rue Drouot (je ne sais pas sous le patronage de qui).

10 novembre 1880. Un journaliste nommé Léo Montancey écrit un assez long article « Arrivée de Louise Michel », qui paraît en page 5 du journal. Il faut dire qu’elle est bien accueillie. Vingt mille personnes dans la rue d’Amsterdam, sans compter celles qui sont sur le quai de la gare.

[…]

Sous le pont de la place de l’Europe apparaît tout à coup le train de Dieppe. Tous les cœurs battent.

Huit ou dix infortunés amnistiés descendent et défilent tristes, isolés, devant la foule. Pas une main ne se tend vers eux, pas un salut ne les accueille au seuil de la patrie.

— Louise! Louise! s’écrie M. Rochefort. Et le chapeau rouge, le foulard rouge, la figure rouge de la grande martyre disparaissent sous le chapeau, sous les bras, du rédacteur de L’Intransigeant. Il l’embrasse. Après l’étreinte, nous la voyons.

Soutenue par deux amies, la citoyenne Cadolle et la citoyenne Ferey [sic], Louise Michel marche, en proie à une émotion violente.

La figure est quelque peu masculine. Le nez fort a une ligne brisée d’un caractère énergique. La lèvre supérieure porte un duvet noir assez accusé. Les traits tirés dénotent d’anciennes souffrances et un tant soit peu d’âge. Les cheveux sont encore noirs. Louise Michel ressemble à son portrait en garde nationale de 1871, un peu plus fort, avec des traits plus accentués.

En la voyant on se dit:

Elle a bien fait de chercher la supériorité ailleurs que dans les rôles où son sexe la trouve d’ordinaire.

[…]

11 novembre 1880. Un autre journaliste, Jules Hoche, se rend chez Louise Michel, c’est-à-dire chez sa mère, à Conches (Conches-sur-Gondoire, près de Lagny). L’article est en page 2.

[…] L’amnistiée était assise à une table […]. Trois personnes lui tenaient compagnie, la citoyenne Cadolle […]; la citoyenne Ferré [c’est la même que la veille, Marie Ferré, sœur de Théophile, bien sûr], une toute petite brune aux cheveux frisottants, aux yeux pleins de malice […]

J’étais venu en curieux, pour l’écouter parler, apprendre ce qu’elle comptait faire, savoir si son fanatisme ne s’était pas refroidi un peu au contact des Néo-Calédoniens.

Je ne tardai pas à être fixé, grâce à la loquacité joyeuse de la petite citoyenne aux pommettes roses, qui s’était mêlée à la conversation. […] Dans quelques jours on irait s’installer à Montmartre, et on commencerait par remercier avec pompe, au nom de la Révolution sociale, les manifestants de la rue d’Amsterdam.

La suite de son article semble écrite tout exprès pour figurer, cent trente-six ans plus tard, dans un texte intitulé « Louise Michel dans Le Figaro » mais je vais abréger quand même. Louise Michel demande au journaliste de lui montrer ses journaux, elle lit l’article de Montancey dans Le Figaro de la veille, elle le lit même à voix haute et le commente, et les trois femmes sont prises d’une crise de fou-rire:

— Allons, ce n’est pas encore si drôle que je croyais… Je crois bien que personne n’aura saisi la note la plus comique de la manifestation d’hier. — Ah, mais oui! — Tiens, c’est vrai!

Mais la citoyenne Cadolle empêche la bonne Louise d’éclairer le figariste. Heureusement, Marie Ferré, qui visiblement lui a tapé dans l’œil — mais avait-il compris de qui elle était la sœur, je ne sais pas — l’accompagne « gracieusement » jusqu’à la porte du jardin.

Louise Michel à Paris, en ce mois de novembre, c’est une attraction. Tout le monde en parle.

21 novembre 1880. Ce jour-là, encore un troisième journaliste, H. Roger de Beauvoir, a la grande chance de rencontrer dans un train, non pas la citoyenne et pétroleuse Louise Michel mais le marquis de Galliffet. Les lecteurs de ce site savent que Galliffet est un assassin de masse, là aussi j’abrège, c’est une crapule de première classe. Une conversation badine entre ces deux messieurs à particules se termine par une bonne blague dudit marquis — en première page:

Avec M. de Galliffet, on a toujours le mot de la fin.

Nous arrivions en gare de Paris et venions de donner nos tickets:

— Quand je songe aux grands bras que doit faire Mme X… à Tours, s’écria le général. Elle s’imagine que je dîne ce soir chez Gambetta, demain chez le duc d’Aumale et lundi, devinez où? C’est qu’elle en est convaincue… Lundi, chez Louise Michel!

22 novembre 1880. Cette fois, Montandey est allé écouter Louise Michel à l’Élysée-Montmartre.

Elle a tenu sa promesse, cette bonne Louise Michel. « J’ai marché à Montmartre, avait-elle dit, ma première conférence se fera à Montmartre. »

Je vous passe l’ironie à propos des drapeaux rouges et noirs et de l’inscription « 1871! »

Cela émeut quand même, allez!

Et bien entendu je vous passe aussi celle à propos du physique de la conférencière. Que tous embrassent, ce qui aurait fait dire à une jeune citoyenne (lectrices, lecteurs, vous avez bien compris que, lorsque ces messieurs utilisent le mot « citoyenne », c’est un sarcasme, n’est-ce pas?): « les hommes sont bien courageux ». Il ironise aussi sur Gambon, qui fait un panégyrique de Jeanne d’Arc, dont Louise Michel serait la version des temps modernes.

Celle qui, enfin, est venue jouer parmi nous le rôle tant délaissé de Charlotte Corday — en le renversant toutefois — prend la parole. je résume:

« Nous ne verrons plus d’hécatombes. Nous savons qui nous devons frapper. Nous n’avons pas de vengeance particulière à accomplir. Nous frapperons les massacreurs: Galliffet!

[…]

Quand je songe aux familles dispersées, aux mères torturées pour leur faire avouer la retraite de leurs fils, citoyens, je vous demande de me laisser frapper nos ennemis la première. »

Les cris de: « Vive la Commune! » et « Vive l’Internationale! » saluent la harangue de la future galliffeticide.

C’est bien sûr à la mère de Ferré que pense Louise Michel.

J’avoue avoir un doute sur le « Vive l’Internationale! » en 1880. Le journaliste inventerait-il?

La conclusion de l’article? La voici:

Voyez messieurs, c’est l’instant. Les fauves vont prendre leur nourriture.

27 novembre 1880. C’est un baron Grimm, en première page.

Il paraît décidément que les menaces funambulesques des clubs où règne Mlle Louise Michel commencent à émouvoir la police.

[…]

Mlle Louise Michel est positivement la reine de Montmartre. Quelqu’un demandait aujourd’hui […] si elle était encore jeune et jolie, et quelque peu séduisante, pour exercer une pareille fascination:

— Elle! allons donc, répondit un député opportuniste, c’est la mère Michel qui a perdu son chat.

29 novembre 1880.

On sait que le citoyen Ferré, ancien général de la Commune [sic], a été enterré dans le cimetière de Levallois. Jusqu’à présent, il y avait été assez oublié, et sa sœur venait seule, chaque année, apporter des fleurs sur sa tombe.

Cela ne pouvait continuer ainsi, et la citoyenne Louise Michel avait décidé qu’une imposante manifestation aurait lieu sur la tombe de cette « victime ».

Heureusement, la police a empêché ça!

29 décembre 1880. Dans l’édito, en première page, signé Ignotus:

[…] Une femme parle. Rien n’indique son sexe. Elle est maigre et ses longs cheveux de rapin sont tordus comme des cheveux roussis à l’incendie. C’est Louise Michel — sorte de Charlotte Corday à la bouche batracienne. Ô, pauvre et belle Charlotte d’autrefois, aux cheveux cendrés!

On dirait que toutes les âmes des tricoteuses de 1793 ont transmigré dans l’âme seule de Louise Michel. Mais elle est la virago impeccable. […] Louise Michel, cette oratrice de la Commune, en ce bal musette où les lampes ont une odeur communarde d’huile de pétrole!

Mais ce n’est pas tout. Allons voir page 4.

Il serait dommage de laisser perdre la déclaration de principe que Mlle Michel vient de formuler dans la Révolution sociale.

« Oh, nous savons bien que de pareilles peccadilles, et de plus graves, sont à reprocher à Léon 1er, mais qu’on sache bien, une fois pour toutes, qu’on n’a pas à discuter celui qui se trouve au pouvoir, quel qu’il soit.

Lorsque les cochons sont gras, on les tue…

Voilà tout. »

Voyons, sera-ce pour le réveillon de 1881?

Je vais arrêter là. Au-delà des âneries, du mépris de classe, de la haine des femmes, des mensonges… il y a la grand’peur de ces jeanfoutres, comme aurait dit le Père Duchêne.

Aujourd’hui, Le Figaro et Madame sont 14 boulevard Haussmann (sous le patronage de qui?), il y a un square Louise-Michel à Montmartre, la victoire des Versaillais est totale: ils n’ont même plus peur.

*

La photographie que j’ai mise en couverture de cet article est de source policière/militaire.

Regardez la. Regardez les portraits de Louise Michel. Avec votre regard. Retirez les filtres comme figure rouge, masculine, duvet noir, nez fort, énergique, bouche batracienne… Regardez les phtographies. C’est Louise Michel, une femme, aux traits pas particulièrement beaux mais sans laideur, une femme résolue et courageuse, une militante.

Pas dans le style magazine féminin, pas dans le style Madame Figaro.

Mais au fond un beau visage. C’est certainement ce qu’a pensé Émile Derré, lorsqu’il l’a représentée, dans son chapiteau des baisers (dont je n’ai pas mis d’image rapprochée dans l’article sur la Commune au Luxembourg). La voici avec Élisée Reclus (une image qui vient du site Montmartre Secret)

ChapiteauBaisersMontmartre

et avec Auguste Blanqui

ChapiteauBaisersRoubaix

(celle-là vient du blog d’Isabelle Baudelet).