Marc Vuilleumier, historien suisse du mouvement ouvrier, est mort le 15 janvier 2021. Il a laissé une foule de textes non publiés. Les Éditions d’En bas nous en proposent un, édité par Marianne Enckell, sous le titre La Suisse et la Commune de Paris, 1870-1871.

Le titre décrit excellemment le sujet du livre (qui n’est pas « les communards en Suisse »!). Rappelons la position très originale de la Suisse, pas tant sur une carte géographique que comme seul pays européen qui n’était pas une monarchie. Les différentes facettes du sujet sont explorées. Pour simplifier (car il faut toujours simplifier), voici les titres des chapitres:

Les Suisses de Paris et la légation suisse avant la Commune
L’Association internationale des travailleurs en Suisse
Les mouvements de la province française en 1870-1871 et la Suisse
Tentatives pour soutenir la Commune depuis la Suisse
Les autorités suisses et la Commune
La légation suisse devant la répression versaillaise
Si ce n’est une conclusion…

Je vous laisse les découvrir, me contentant ici de quelques mots sur le dernier (et sur la conclusion). La « répression versaillaise » ici est essentiellement la répression « légale », après la Semaine sanglante. À travers les efforts faits par Johann Konrad Kern (ministre plénipotentiaire de Suisse en France) et Charles Lardy (son secrétaire) pour venir en aide aux ressortissants suisses prisonniers de Versailles (ceux connus et recensés, au moins), c’est une réalité bien méconnue de la façon dont a fonctionné la « justice » militaire que Marc Vuilleumier nous laisse entrevoir.

C’est un sujet qui n’a guère été abordé par l’historiographie de la Commune, en dehors de l’analyse de quelques procès de personnalités,

remarque-t-il.
En effet.
Bien des « Procès des communards » restent à écrire.

Au cours de cette étude passionnante, l’historien dresse, à la suite de la légation, un portrait de quelques-unes des 197 personnes arrêtées, restées en « détention préventive » (concrètement, sur les pontons) en moyenne six mois et 21 jours, et dont 148 ont bénéficié d’un non-lieu. Les trois quarts, ce qui est la proportion des non-lieux dans l’ensemble de tous les prisonniers. Peut-être les Suisses se sont-ils sentis davantage soutenus que leurs camarades français…

C’est une des choses que dit, par exemple, Gaspard Elmer, dans une lettre du 25 juin 1872, reproduite dans les annexes du livre de Marc Vuilleumier et que je vais reproduire aussi, dans le prochain article. Il y raconte aussi tout ce qui lui est arrivé depuis le 22 mai de l’année précédente.

En attendant cette lettre, je conclurai cet article par… la conclusion du livre. Elle raconte l’action (et, surtout, la non-action), un siècle plus tard, de la Suisse, de son ambassade à Santiago du Chili, de son gouvernement, à l’automne 1973.

C’est grâce à une association, Action Place gratuite, que, en deux ans et demi d’activité, environ 400 personnes ont pu quitter le Chili et arriver en Suisse. À la même époque, le pays accueillait chaque année plus de mille personnes fuyant les régimes communistes de l’est de l’Europe.

Un rapport avec l’actualité??? Voici le tout dernier paragraphe du livre:

On trouvera peut-être que ce rappel de faits remontant à 45 ans est hors de propos dans une étude historique portant sur les années 1870 à 1872. Il me semble pourtant que l’histoire nous conduit à nous poser des questions sur des périodes ultérieures, sur notre présent, sur le monde dans lequel nous vivons, sur notre attitude à l’égard des problèmes actuels. Ces questions, ce n’est pas mon rôle d’y répondre, mais j’espère qu’à la lecture de ces pages, le lecteur se les posera et tentera d’y apporter se propre réponse. C’est dans ce sens que la juxtaposition de la politique suisse de 1870-72 et celle de 1973-76 se justifie. Et le lecteur sera peut-être aussi amené à réfléchir sur d’autres faits, d’autres situations plus récentes de notre monde actuel.