Voici une série de trois articles consacrés à Flora Tristan.
Il se trouve que j’ai passé beaucoup de temps à m’informer sur elle depuis un an. C’est un « avant la Commune » relativement lointain: elle est morte en 1844 — à l’âge de 41 ans, comme une bonne héroïne du XIXe siècle. J’ai posé des questions à quelques historiens — il y a peu de connaisseurs.
J’ai bénéficié de l’aide incroyablement généreuse et amicale du meilleur spécialiste, Stéphane Michaud. J’ai lu beaucoup.
Et bien sûr, je parle de ce que je fais avec les gens que je rencontre. La plupart connaissent son nom.
Mais pas plus.
C’est parfois drôle. Justement, me dit mon interlocuteur, je viens d’entendre une conférence sur Flora Tristan. Intéressée, je m’informe:
— Ah, où ça?
— Dans le Limousin. Elle a un rapport avec la région, je crois?
Il me demande confirmation. Je ne vois aucun lien entre Flora Tristan et le Limousin. Je réponds poliment que je ne sais pas. Il mentionne une historienne, des spécialistes locaux. Il ajoute des détails sur la conférence. J’ai un soupçon.
— Tu veux dire André Léo, non?
— Ah oui, c’est ça, voilà!
Ça m’a rappelé le jour où son mari a tiré un coup de pistolet à bout portant sur Flora Tristan (dans le but affirmé de la tuer) et où les journaux ont annoncé que quelqu’un avait tiré sur George Sand. Incapacité d’imaginer qu’il existe plus d’une femme écrivaine. Comme mon ami, sans doute.
Un point de chronologie — et un autre de géographie. Quand Flora Tristan est morte, André Léo n’avait que vingt ans, s’appelait Léodile Béra et vivait dans le Poitou — et pas le Limousin, je me permets de signaler à mon ami cette autre confusion… Et je suppose qu’elle n’avait encore jamais entendu parler de Flora Tristan.
On jouerait sans mal au jeu des sept différences. L’une d’elles serait qu’André Léo est une des autrices vedettes de ce site (tapez « André Léo » dans la fenêtre « Rechercher » à droite de votre écran, vous verrez), alors que Flora Tristan n’y a pratiquement jamais été nommée.
Pourquoi? Un des problèmes de Flora Tristan, c’est qu’elle est morte trop tôt, avant même la révolution de 1848, ce qui a facilité son oubli.
Question suivante: pourquoi en parler?
Je ne vous raconte pas sa vie incroyable: je n’aurais pas la place. Quelques mots. Elle est allée, seule et âgée de 30 ans, en 1833, jusqu’au Pérou. Je l’ai déjà signalé, elle a été assassinée par son mari en 1838 mais a survécu. Au cours d’un voyage en Angleterre en 1839, elle a observé la classe ouvrière — et la lutte des classes — et écrit un livre incroyable, Promenades dans Londres, illustration d’une maxime que j’aime beaucoup,
Le capitalisme, ça n’existe pas. Ce qui existe, c’est l’Angleterre du XIXe siècle.
(J’offre un cadeau à qui me trouve et m’envoie le nom de l’auteur de cette citation… avec références, bien sûr).
C’est alors qu’elle a décidé de « constituer la classe ouvrière », a écrit un petit livre à cet effet, Union ouvrière, dans lequel elle défendait notamment la revendication « droit au travail » — oui, je sais, la bourgeoisie préférait le « liberté » du travail — revendication qui a été mise en avant pendant la révolution de 1848 avant d’être jetée aux orties — avec les corps et le souvenir des insurgés de Juin.
C’est au cours d’une tournée de diffusion de ce petit livre dans des réunions d’ouvriers, le « Tour de France » de Flora Tristan, qu’elle est morte d’épuisement et de maladie (finalement d’une fièvre typhoïde) à Bordeaux le 14 novembre 1844.
Dans les deux articles suivants, j’envisagerai
l’héritage politique de Flora Tristan…
à suivre, donc
*
J’ai copié la gravure colorisée que j’ai utilisée en couverture sur le deuxième volume de l’édition Maspero du Tour de France de Flora Tristan.
Livres cités
Tristan (Flora), Promenades dans Londres ou l’aristocratie et les prolétaires anglais (édition de 1842), édition établie et commentée par François Bédarida, La Découverte (2003), — Union ouvrière, Plein chant (2019), — Le Tour de France, Maspero (1980).