Voilà Maria Verdure et Élie Ducoudray mariés (notre article précédent). C’est le 7 novembre 1871.
Je reviens un tout petit peu en arrière. Nous avons vu que, au cours du procès à grand spectacle des membres de la Commune, Élie Ducoudray défendait Augustin Verdure. Celui-ci a été condamné, le 2 septembre, à la déportation dans une enceinte fortifiée.
En réalité, Élie Ducoudray ne défendait pas que son futur beau-père, mais il s’est préoccupé, aussi, de Théophile Ferré. Il lui rend notamment visite, dans sa cellule à Versailles — sa cellule de condamné à mort — l’après-midi du 13 novembre.
Et il y meurt subitement — d’une rupture d’anévrisme selon la presse. Ce que je viens d’écrire contient beaucoup plus d’informations que l’acte de décès, que voici et qui nous apprend quelque chose:
Du Mardi quatorze novembre mil huit cent soixante onze, dix heures trois quarts du matin, acte de décès de Charles Élie Ducoudray, avocat [même s’il était défenseur, il n’était pas avocat], demeurant à Paris, avenue Saint-Mandé 73 [ainsi nous apprenons l’adresse des époux après le mariage], fils de feu Élie Ducoudray et de Marie Virginie Ouvré, sa veuve, décédé hier trois heures et demie du soir en cette ville place des Tribunaux [si j’en crois la presse, il s’agit de la prison Saint-Pierre, à l’emplacement où est aujourd’hui le Palais de justice de Versailles] époux de Maria Verdure dont on n’a pu indiquer l’âge, même demeure…
Je passe la suite: les deux témoins sont des employés de la mairie de Versailles et n’ont rien à nous apprendre.
Six jours après son mariage, Maria Verdure est veuve…
La suite de son histoire?
C’est le 7 juin 1872 que La Guerrière, après avoir chargé ses cales dans différentes prisons du littoral atlantique, quitte Brest à destination de la Nouvelle-Calédonie. Augustin Verdure, qui a été embarqué le 3 juin à Rochefort, est parmi les transportés.
En juin 1872, Maria Verdure est libraire et vit 7 rue Fontaine, dans le neuvième arrondissement. Le 11 juin à 7 heures du matin, sept mois après son mariage et la mort de son mari, elle accouche d’un garçon. Il n’y a pas de père pour aller déclarer la naissance, c’est donc la sage-femme qui le fait. L’enfant s’appelle Élie Charles Marius.
Il est à peu près certain qu’Augustin Verdure n’a pas eu connaissance de la naissance de son petit-fils avant son arrivée en Nouvelle-Calédonie, le 2 novembre 1872, date à laquelle il a été débarqué à la presqu’île Ducos.
Il est mort, de chagrin, dit-on, à l’ambulance Numbo de la presqu’île Ducos, le 23 avril 1873.
Le 1er octobre 1874, Maria Verdure (que sans doute on appelle Maria Ducoudray) habite 48 rue Notre-Dame de Lorette avec sa mère (et, sans aucun doute, son fils de trois ans). Elle a vingt-cinq ans et épouse, à la mairie du neuvième, un « industriel » belge de trente ans, Corneil Joseph Marie Alphonse Neujean (dont le prénom usuel est Alphonse). Les parents de l’époux ont consenti via un notaire de Liège, mais Caroline Verdure est présente. Le contrat de mariage a été dressé par le même notaire qu’en 1871 (notre article précédent), je ne connais pas les témoins.
En 1878, le domicile conjugal des Neujean est 28 passage Laferrière, toujours dans le neuvième. Maria a vingt-huit ans et elle meurt. Le 23 mars. Dans son acte de décès, son mari est comptable, et Caroline Verdure est libraire 25 rue Notre-Dame de Lorette. Le Bottin de cette année-là comporte bien une librairie à cette adresse, mais elle est au nom de… Ducoudray (Veuve) — l’ancien nom de Maria.
Je n’en savais pas plus, mais voilà… un quotidien, La Commune affranchie, « dirigé par Félix Pyat » (qui était toujours en exil) est paru de façon éphémère du 18 mars au 11 avril 1878… juste à temps pour rendre compte (dans son numéro du 26 mars) des obsèques de Maria Verdure. Le journaliste évoque les malheurs de la famille, je remarque qu’il dit que Maria a été
frappée dans la personne de son premier mari par le crime ou par la destinée, la question est encore douteuse.
Je n’ai pas vu d’autre mention de ce doute. Le journal publie ensuite le discours d’Alfred Talandier, député qui a connu Maria petite, dont voici de larges extraits (en vert), et qui contient une petite surprise:
[…] La plupart d’entre vous connaissiez depuis longtemps Maria Verdure. Nous, je parle de ma famille et de mol, la connaissions depuis la fin de 1863. C’est en exil que nous la vîmes pour la première fois, non pas que les siens ou elle fussent exilés; leur tour n’était pas encore venu. […] à l’époque dont je vous parle, s’il y avait des républicains proscrits, ils étaient du moins proscrits par l’empire.[…] Les proscrits eux-mêmes, l’âme tranquille et sereine, trouvaient tout naturel que l’empire eût des républicains pour victimes. Mais voir des républicains proscrits sous la République et par la République, voir des républicains déportés, agoniser et mourir en Calédonie, comme le père de celle que nous inhumons aujourd’hui, voilà ce qui déconcerte la raison, révolte la conscience et nous plonge dans un abîme de stupeur. Ah! Maria Verdure était loin de prévoir, en 1868-1869, qu’un jour viendrait où, l’empire effondré, ce seraient encore des républicains qui continueraient à expier les fautes de l’empire.
Jamais l’on ne vit jeune fille plus aimable et plus gaie. C’était une joie, un éclat de rire perpétuels. […]
Une chose, chez Maria et chez quelques autres jeunes filles que leurs parents voulurent bien envoyer passer quelque temps dans une famille en Angleterre, m’enchantait et me remplissait d’espérance pour l’avenir: c’était l’esprit indépendant de ces jeunes libres-penseurs, élevées dans le mépris de toutes les superstitions religieuses et politiques.
Au commencement de 1870, Maria Verdure quitta l’Angleterre, et nous; mais à la fin de l’année, nous la quittâmes aussi. Ne pouvant venir à Paris nous qui, déjà, était investi, nous allâmes en province, et, plus tard, quelle fut notre douleur, on revenant à Paris, de ne retrouver de la famille Verdure que deux veuves: la veuve de Verdure et la veuve de Ducoudray.
À la longue cependant Maria et sa mère avaient un peu repris à l’espérance; Maria y reprit tout à fait lorsqu’elle se vit aimée par Neujean, et qu’elle comprit qu’elle pouvait lui remettre en toute confiance le soin de l’avenir. Et aujourd’hui nous voici en présence d’une nouvelle et atroce douleur, celle de l’ami veuf à son tour de Maria et père de trois enfants, dont l’un n’est le sien que par l’affection qu’il portait à sa jeune femme. Devant cette douleur de la mère et de l’époux, nous ne pouvons que courber la tête et pleurer avec eux; mais devant les enfants, nous devons, nous qui ne comptons pas retrouver dans une autre vie ceux que nous avons aimés, nous qui ne croyons à d’autre perpétuité de la vie qu’à celle qui se transmet avec leur amour des pères aux enfants, nous devons, dis-je, vous rappeler, à vous, pauvre mère, à vous, époux infortuné, qui pliez tous les deux sous le fait de la douleur, que vous n’avez plus d’autres moyens de manifester l’amour que vous aviez pour Maria, que de reporter sur les enfants qui vous restent la tendresse que vous portiez à celle qui n’est plus. Le courage vous est nécessaire; mais noua avoua le droit da l’attendre de vous, et je crois pouvoir dire que vous y serez aidés par l’affection de ceux qui partagent votre douleur.
Ainsi nous pouvons sans doute ajouter que Maria Verdure avait eu deux enfants de son deuxième mariage.
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J’ai trouvé la gravure de Méaulle, « Embarquement de condamnés de la Commune pour la Nouvelle-Calédonie », au musée Carnavalet. Je ne sais pas dans quel journal elle est parue (n’hésitez pas à m’écrire…)
Ajouté le 29 août 2022: Quant au port d’où partent ces déportés, que je n’avais pas reconnu, il s’agit du fort de Fouras, en Charente-Maritime. Merci à Gautier Dietrich pour cette information
Sources
L’état civil, aux archives de Paris et aux archives départementales des Yvelines. La fiche matricule « bagne » (qui inclut les déportés en Nouvelle-Calédonie, bagnards ou pas) des archives nationales.
Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration, Firmin-Didot (1878).