Flora Tristan passionna jadis l’opinion. On admirait — ou on jalousait — son port andalous, on parlait du mari qui, appuyant un canon dans son dos, à bout portant l’assassina — mais, ouf, pas tout à fait — l’information captiva Paris.
Pourtant la « paria » finit par mourir (du typhus?). Si on vit alors pas mal d’individus s’attristant, cinq ou six ans plus tard, on l’oubliait.
Ça m’intrigua. J’ai lu un journal, puis cinq, puis dix, poursuivant mon inquisition, traquant un mot — son nom — parmi Figaro, Droit, Paris-Journal, Charivari, Journal amusant, Français, Grand journal, Gaulois, Union, Constitution… tout y passa.
Ma conclusion? Dix-huit ou vingt ans plus tard, plus un mot. Disparition.
Qui a disparu? Flora Tristan. Quoi? La notion du droit au travail.
Oubli, omission. Trahison?
Il fallut, plus tard, un Malon pour la sortir du trou d’oubli.
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Exception…
Octobre 1867, réunion de la Commission ouvrière (toujours celle dont est extraite la citation de Varlin partiellement reproduite dans l’article précédent). Après une série d’interventions contre le travail des femmes, voici un ferblantier nommé Chabaud (qui semble avoir mauvaise réputation) et qui,
[…] abordant la question sociale de la femme, dit que les philosophes anciens ont accusé la femme d’une infériorité morale; que longtemps la femme a été considérée pour zéro dans la société; il lit à l’appui de cette triste assertion divers passages de l’Union ouvrière, de Mme Flora Tristan (qui seront annexés au procès verbal).
Et en effet, le remarquable recueil des comptes rendus de ces réunions reproduit une page et demie du livre Union ouvrière de Flora Tristan.
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1868-70, mouvement de réunions publiques, plusieurs orateurs et surtout oratrices parlent de la condition féminine. Je n’ai trouvé aucune trace dans aucun compte rendu du nom de Flora Tristan. À mon grand étonnement, il ne figure pas dans le remarquable petit livre La Femme et les mœurs, d’André Léo.
Le citoyen Passedouet est intervenu plusieurs fois pour le droit au travail en septembre 1869. Mais les brèves évocations de ses interventions dans la presse ne mentionnent pas le nom de Flora Tristan.
J’ai bien noté que Charles Lemonnier, vieux (il a 64 ans en 1870) saint-simonien et qui était auprès de Flora Tristan lorsqu’elle est morte en 1844, avait fait des conférences, en janvier 1870, aussi sur « le droit au travail » — et j’ai peine à croire qu’il n’ait pas, alors, prononcé le nom de Flora Tristan. Qui sait?
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1890. Double saut périlleux de la mémoire de Flora Tristan par-dessus la Commune de Paris. Et sa réapparition en… 1890 dans un paragraphe du Socialisme intégral de Benoît Malon:
Ce n’est pas la première fois qu’une tentative de ce genre était faite [Il est question de la création de l’Association internationale des travailleurs].
En 1843, dans une brochure trop peu connue, Mme Flora Tristan avait démontré, avec une singulière lucidité, l’internationalité des intérêts ouvriers, sans même négliger le fait de la lutte des classes dont personne n’avait parlé encore.
À la classe noble, disait l’auteur de l’Union ouvrière, a succédé la classe bourgeoise, beaucoup plus nombreuse et plus utile. Vient maintenant la classe ouvrière plus utile et plus nombreuse encore. À elle de se constituer en Unité universelle, sans faire aucune distinction entre les ouvriers des diverses nations. Ainsi constituée, la classe ouvrière sera forte; elle pourra alors réclamer, sûre de se faire écouter, le droit au travail et l’organisation du travail.
Livres cités
Tartaret (Eugène), Exposition universelle de 1867. Commission ouvrière de 1867. Recueil des procès-verbaux des assemblées générales des délégués et des membres des bureaux électoraux… recueillis et mis en ordre par Eugène Tartaret, Augros (1868).
Tristan (Flora), Union ouvrière, Plein chant (2019).
André Léo, La Femme et les mœurs: liberté ou monarchie, Éditions des droits des femmes (1869), réédition en fac-similé Du Lérot (1990).
Malon (Benoît), Le Socialisme intégral, F. Alcan (1891).