Il y a eu aussi des médiocres — ou pire — dans l’histoire de la Commune.

Alfred Édouard Billioray était membre du Comité central de la Garde nationale. Il a été élu à la Commune, le 26 mars, par le quatorzième arrondissement. Il a voté pour le Comité de Salut public. Il en était d’ailleurs membre à la fin de la Commune. C’est lui qui a annoncé aux membres de la Commune réunis pour juger Cluseret que les versaillais étaient entrés dans Paris, l’après-midi du dimanche 21 mai. Et puis, dit Lissagaray, il a disparu avant même que le Comité de Salut public ne se réunisse.

Il a réapparu plusieurs fois, dont au moins une (et peut-être deux) pour mourir. Il a été fusillé au Gros-Caillou (septième arrondissement). Le capitaine Garcin, oui, celui qui a assassiné Millière, s’est aussi chargé de ce crime-là:

Billioray a d’abord cherché à nier son identité. Il avait voulu se jeter sur un soldat; c’était un homme d’une force athlétique… Il se défendait, il écumait de rage. On a eu à peine le temps de l’interroger… Il a commencé une histoire de fonds dont il pouvait indiquer la cachette. Il parlait de 150 000 francs, puis il s’est interrompu pour me dire: « Je vois bien que vous allez me faire fusiller. C’est inutile que j’en dise davantage. » Je lui ai dit: « Vous persistez? — Oui. » Il a été fusillé.

C’est dans l’Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, vol.2, p.234. Lissagaray le cite. Camille Pelletan discute assez longuement cette exécution dans le chapitre VI de son livre La Semaine de Mai, qui porte le titre « les faux Billioray » — il y a eu des exécutions de Billioray. L’un d’eux était un joueur de vielle, ce qui explique que le caricaturiste de notre image de couverture (qui vient du musée Carnavalet) ait représenté Billioray avec une vielle.

Évidemment que le malheureux se défendait!

Pourtant, nous avons vu ce même — ou alors un autre — Billioray jugé parmi « les membres de la Commune » en août 1871. Lissagaray le qualifie d’ « homme tout à fait indigne » dans une page où il le compare, il est vrai, à… Eugène Varlin.

Il a été arrêté le 3 juin. Voici une lettre qui raconte cette arrestation. Elle est écrite par le maire du quatorzième arrondissement, adressée à quelqu’un à l’Hôtel de Ville, elle se trouve à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Paris, le 5 Juin 1871
Monsieur
J’ai l’honneur de vous annoncer que le vrai Billoray [sic], le Billoray de la Commune et du Comité de Salut Publique [sic], a été arrêté samedi soir [le 3] à 10 heures, rue des Cannettes 19, où il se cachait sous le nom de Bénédech [qui était, je me permets de le signaler, le nom de sa femme].
Il fut immédiatement conduit devant le grand Prévôt, qui fit procéder à son interrogatoire. Il refusa jusqu’à la dernière extrémité d’avouer qu’il était bien le communeux si renommé en question et il ne reconnut être le Billoray en question que devant un commissaire de police qu’il avait fait arrêter le 18 mars et qu’il avait pillé. On a trouvé sur lui 1.015 francs, nous croyons savoir que ce sont des personnes qui le touchent de très près qui l’ont fait arrêter.
Il est parti ce matin par le chemin de fer de l’ouest, on le conduit à Versailles.
Je vous serre la main
Héligon
Je vous envoie ci-joint une de mes affiches.

Celui qui donne cette information est jean-Pierre Héligon. Vous vous souvenez de Jean-Pierre Héligon? Un des fondateurs de l’Internationale à Paris, un imprimeur sur papiers peints, prévenu dans le « premier procès » de 1868, arrêté en mai 1870, prévenu au « troisième procès », et d’ailleurs condamné, élu adjoint au maire du quatorzième en novembre 1870, le « renégat » qui avait récupéré « sa » mairie le 24 mai… Eh bien, c’est lui!

Un homme indigne, un renégat, que voilà un triste article!

Heureusement, il y a aussi des femmes. Celle de Billioray s’appelle Pauline Bénédech. Elle a été plumassière. Ils ont eu deux petites filles en 1867 et 1870, puis un petit garçon le 6 mai 1871, juste entre le vote pour le comité de salut public et l’élection (le 11 mai) du père dans ce comité. Il est allé déclarer la naissance de son fils à la mairie (du quatorzième) avec son collègue membre de la Commune Baptiste Descamps et il l’a reconnu comme il l’avait fait pour ses deux filles (ils n’étaient pas mariés). Indigne, mais correct…

Il a été condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée et, après quelques épisodes, a fini par arriver en Nouvelle-Calédonie où il est mort en 1877. Il est probable que Pauline Bénédech a réussi à s’occuper de ses enfants. À la fin des années 1880, ils étaient vivants tous les trois et… elle les reconnaissait. Ah que la vie des couples non mariés était alors difficile!

 Sources

J’ai utilisé les registres d’État civil aux archives de Paris et les livres suivants

Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, Versailles, Cerf (1872).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).