[Ce court article a été écrit en juillet 2022 pour le bulletin de Faisons vivre la Commune.]
Des milliers de femmes et d’hommes inconnus ont été tués — exécutés sommairement, assassinés — dans les rues de Paris en mai 1871. Les registres d’inhumation et d’autres archives permettent de décompter plus de dix mille morts enterrés dans les cimetières parisiens. Mais, on l’a dit, il y avait des morts dans toutes les rues, si nombreux qu’on n’a pas pu emporter tous ces corps jusqu’à un cimetière. Il fallait pourtant les inhumer d’urgence, et on l’a fait, on en a enfoui — sommairement — là où on le pouvait à proximité, dans les squares, les chantiers… en attendant de pouvoir les exhumer et les réinhumer dans un cimetière. Les archives des cimetières donnent aussi une idée de ce que fut la réalité de ces exhumations, deux mois plus tard, dans la chaleur de l’été… ce sont bien entendu des fragments que l’on sortait de terre. Et l’on a remis à plus tard, quand il ferait moins chaud, ou jamais…
On a retrouvé des ossements pendant des décennies, lors de travaux, pour des constructions d’immeubles, pour le percement du métro, pour les conduites de gaz… des ossements avec les boutons ou d’autres restes d’uniformes qui confirment la date de l’enfouissement : ce sont bien des ossements de fédérés. J’ai dressé une longue liste, dans La Semaine sanglante, de lieux où l’on a, au fil de ces années, retrouvé de ces traces. Cela a intéressé un archéologue, Laurent Olivier. Nous nous sommes rencontrés dans un café de la place du Châtelet, à proximité immédiate du bien nommé square (Saint-Jacques) de la Boucherie, un de ces grands lieux d’enfouissement de communards, si immense qu’on y a encore trouvé de nombreux ossements en 1902. « Bien sûr qu’il en reste », m’a-t-il dit. Et il me l’a rappelé, « un corps humain, c’est plus de 200 os ».
J’ai toujours marché dans Paris avec une conscience historique forte de ce qui s’était passé à tel ou tel endroit, massacres, rafles, répression de manifestations, cheminant, comme le disait Jean-François Vilar, entourée de fantômes au front troué. Maintenant, je sais aussi que, « sous les pavés », même s’il n’y a plus de pavés, ils sont là, ils ont laissé leur trace, nous marchons sur eux.