C’est après la Commune que « E. Appert » gagne son (leur) brevet de policier(s). Nous l’avons vu aller à Blois en juillet-août 1870. Un an après, il se rend à Versailles et il y photographie les prisonniers, ce qui le désignera comme un des précurseurs de la police scientifique, bien que ses nombreuses photos de prisonniers ressemblent plus à ses photos d’hommes politiques qu’aux clichés d’identification judiciaire à la Bertillon. Sur cette question, je renvoie au très intéressant article de Stéphanie Sotteau cité ci-dessous.

E. Appert n’a pas photographié tous les captifs de Versailles non plus. Par exemple, Gustave Courbet manque notablement à son tableau de chasse, peut-être parce que celui-ci a rapidement été transféré à Sainte-Pélagie, puis dans la clinique de son médecin, peut-être parce qu’il a refusé. 

Certains prisonniers semblent avoir accepté avec plaisir de se prêter au portrait photographique, peut-être simplement parce que cela leur apportait un moment de distraction, comme le dit Stéphanie Sotteau. Elle cite (comme Bertrand Tillier) aussi Marc Gromier, qui raconte que, le 12 septembre 

on m’a permis de m’habiller et d’aller prendre l’air dans le couloir du mur de ronde où j’ai trouvé le photographe Appert qui m’attendait pour prendre mon portrait. Vu Rossel, Cavalier et Abel Peyrouton qui ont été photographiés après moi.

Peut-être que d’autres ont refusé? Le pouvaient-ils, seulement? Il y a en tout cas des prisonniers dont je n’ai pas vu de photographie (je pense à Pierre Malzieux, mais il y en a certainement d’autres). Il est vrai que certaines ont moins circulé que d’autres… Voici le (rare) relieur Alphonse Delacour (j’ai copié cette photographie, à la suggestion de Maxime Jourdan, à l’IISG d’Amsterdam):

Les photographies faites en prison se reconnaissent sans mal. E. Appert arrivait avec ses appareils et un drap blanc pour tout décor. Un avantage était de pouvoir ensuite « découper » et utiliser facilement les images pour les insérer dans un des montages dont il avait le secret.

De même que la présence des femmes dans l’espace public parisien pendant la Commune avait impressionné (et terrifié) les bourgeois, elle a inspiré le photographe qui avait eu peu de modèles féminines parmi ses clients politiciens. Heureusement qu’il y a les communardes. 

Si les photographies des hommes sont assez neutres, celles des femmes le sont moins. Voyez Hortense David.

Il y a peut-être eu une troisième photographie, qu’il a utilisée pour la femme à la bouteille à gauche de son montage. Elles fument le cigare et elles boivent, ces p… (pétroleuses). Il semble avoir davantage fait poser et manipuler les prisonnières que les prisonniers. Elles lui ont fait produire des portraits plus originaux, presque de composition. Je pense aussi à Marie Leroy, dont il a fait plusieurs photographies, visiblement à plusieurs dates.

         

L’appellation comme « veuve Leroy » l’a visiblement inspiré: il l’a faite poser avec un voile de veuve.

Il a fait aussi plusieurs photos de Louise Michel,
mais ce sera un des sujets de l’article suivant.

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La photographie de Marc Amédée Gromier vient du musée Carnavalet. Le montage des femmes à la prison des Chantiers vient du même musée Carnavalet. De ce même musée vient encore la photographie d’Hortense David avec le cigare. L’autre photo de la même Hortense David vient de Gallica. Les deux premières photos de Marie Leroy viennent de Gallica. La photo avec le voile vient, à nouveau, du musée Carnavalet.

Livres et articles cités

Sotteau Soualle (Stéphanie)Ernest Appert (1831-1890), un précurseur d’Alphonse Bertillon en matière de photographie judiciaire?, in Aux origines de la police scientifique, Karthala (2011).

Tillier (Bertrand)La Commune de Paris, révolution sans images?, Champ-Vallon (2004).

Gromier (Marc-Amédée), La Commune Journal d’un vaincu, recueilli et publié par Pierre de Lano, Victor Havard (1892).