Dans l’article précédent, nous nous sommes inquiétés de photographies « par Appert » de communards assassinés pendant la Semaine sanglante. Eh bien, avions-nous conclu… c’est donc qu’ils ont été photographiés avant…

Il existe d’ailleurs aussi une photographie d’Eugène Protot par Appert, alors que celui-ci n’a pas été fait prisonnier (il s’est battu jusqu’au bout rue de la Fontaine-au-Roi et a réussi à se cacher et à fuir en Suisse).

Eugène Protot, l’avocat qui a défendu Mégy au procès de Blois,

et Tony-Moilin, qui était connu comme médecin et socialiste, et dont nous avons aussi une photo par Appert, étaient de petites célébrités.

Mais Maurice Garreau était un ouvrier serrurier, un inconnu.

Ah, mais si! Je viens d’écrire le mot clef, qui est « procès de Blois ».

En effet, Maurice Garreau était un des accusés de Blois. Et « E. Appert » a couvert le procès de Blois, du 18 juillet au 8 août 1870, à Blois, et il a photographié de nombreux protagonistes, par exemple Henri Sapia (qui a été tué le 22 janvier 1871 sur la place de l’Hôtel-de-Ville). Il a même fait du procès de Blois le premier d’un de ces montages qui l’ont rendu célèbre, dont j’ai du mal à trouver une reproduction grand format (mais même en tout petit on y reconnaît très bien Protot).

Mais qui était donc E. Appert? Je reviendrai sur cette question dans un article ultérieur. En attendant…

Ernest Appert, Eugène Appert, ils sont deux et, si j’en crois ce que je lis, surtout un, appelons-le(s) E. Appert. Il s’agit d’un (ou de deux) photographe(s), établis 24 rue Taitbout à Paris, et déjà assez connu(s) depuis l’exposition universelle de 1867.

Il s’est fait remarquer de nos amis républicains en volant une photo de Victor Noir par Carjat (voir l’article « Aujourd’hui dans la Marseillaise » du 16 janvier), — et d’ailleurs un mois plus tôt il volait un portrait de Jean-Baptiste Troppmann (voir un article ultérieur de cette série) — je vous rappelle la lettre de Louis Noir:

M. LE RÉDACTEUR EN CHEF

J’apprends par les journaux qu’un monsieur Appert, photographe de la magistrature, met en vente des photographies de mon frère Victor Noir, au prix de 1 franc et de 2 francs le portrait-album.

J’ai entre les mains une de ces épreuves qui sont la contrefaçon complète de la photographie, faite du vivant de mon pauvre frère par notre ami Carjat qui, seul du reste a reproduit à Paris ses traits, et seul a le droit de la reproduction après sa mort.

La tête de trois quarts a été placée sur un corps quelconque qui n’est pas le sien, et ne donne aucune idée de celui que nous avons aimé.

J’espère que M. Appert, photographe de la magistrature, en plagiant l’œuvre de son collègue aussi ouvertement, aura le bon esprit de suivre son exemple, et qu’il imitera la résolution que Carjat a prise spontanément d’affecter le résultat de la vente de ses épreuves à la souscription que la vindicte publique provoque à la mémoire de mon frère.

Je compte donc absolument qu’il suivra les indications publiquement dénoncées par son prédécesseur et qu’il mettra ses livres à la disposition des journaux républicains qui se sont mis à la tête du mouvement.

Faute de quoi, je protesterais par toutes les voies légales et autres contre une manœuvre déloyale.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

LOUIS NOIR

Neuilly, 15 janvier 1870.

— de sorte qu’il est presque étonnant que les accusés de Blois aient accepté de poser pour Appert. La photographie de Victor Noir, due à Carjat, donc, figure toujours dans les photos attribuées à Appert (par exemple dans la collection de Gallica). 

Car il y a aujourd’hui de vastes collections de leurs photographies numérisées ici ou là. Celles que l’on trouve sur Gallica et au musée Carnavalet ont le bon goût d’inclure les versos des cartes-portraits, souvent très informatifs. Je reviendrai sur la collection de Gallica.

Et, bizarrement, E. Appert a raté le procès de l’Internationale qui, lui a eu lieu à Paris du 22 juin au 9 juillet 1870. 

Vous, mes lectrices et lecteurs, contrairement à beaucoup d’auteurs, vous savez que ces deux procès sont complètement différents, qu’ils n’ont eu lieu ni au même endroit ni à la même date (et ni avec les mêmes accusés, d’ailleurs ceux de l’Internationale étaient déjà incarcérés quand le procès de Blois a commencé). 

Et voilà pourquoi il n’y a pas de portrait photographique des internationalistes signé « E. Appert ». Avec une petite anomalie, celle de Simon Dereure, qui était cordonnier et internationaliste et qui a été jugé (et condamné) à Blois! Voilà pourquoi il existe une photographie de lui par E. Appert, alors qu’il a réussi à échapper au massacre et à l’arrestation après la Commune.

 

À suivre

Sources

Les photographies d’Eugène Protot et de Tony-Moilin par Appert viennent de cet album sur Gallica (même si Protot y est mal nommé). Celle de Maurice Garreau vient de celui-ci. J’ai déjà utilisé celle de Victor Noir. Celle de Simon Dereure vient du musée Carnavalet.