Comme annoncé dans l’article précédent, voici des photographies de Louise Michel.
[Je me suis déjà exprimée sur la photo « de Louise Michel » en garde national, je n’y reviens pas ici.]
Souvenez vous de l’état d’âme de Louise Michel au temps où Appert traînait son appareil photographique dans les prisons versaillaises. Voir notre série d’articles « L’invention de Louise Michel« , à l’occasion du cent cinquantenaire de son procès.
Elle a bien posé pour Appert pendant sa détention à Versailles. Plusieurs fois. Au moins trois:
La même chaise, la même robe, (presque) la même position des bras — seul le photographe bouge! [Il s’agit certainement de la même séance de pose…] C’est certainement encore Appert (qui d’autre? elle était prisonnière) qui a fait la photographie « en voile de veuve » (la tenue qu’elle portait pour son procès)
— que je n’ai pas trouvée dans les fonds de Gallica ni du musée Carnavalet (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’y est pas…) mais qui est dans le livre de Dayot, où elle est légendée: « Louise Michel devant le conseil de guerre en 1871 ».
Bertrand Tillier l’a remarqué, les séances de pose à Versailles ont pu voir s’instaurer une complicité entre le photographe et telle ou tel des ses modèles. Eh bien, il faut croire que ce fut le cas avec Louise Michel. En effet, de retour de déportation en Nouvelle-Calédonie, elle retourne le voir, lui (ou eux), E. Appert, 24 rue Taitbout. Elle s’habille et se coiffe avec élégance, et elle pose à nouveau pour lui, cette fois dans un vrai décor de photographe avec son faux rocher — la référence au retour d’exil et à une célèbre photographie de ce modèle des exilés, Victor Hugo à Guernesey, est évidente.
J’ai déjà mentionné cette photographie dans un article assez ancien. J’en avais alors vu une version intitulée « Louise Michel à Nouméa », ce qui ne m’avait guère plu. Je n’avais pas tort. [Il semble toutefois qu’il existe bien une photographie de Louise Michel prise à Nouméa par François Amable Fougeret, comme me le signale Cédric Piktoroff. Voir ici.]
Cette photographie a été prise entre son retour de déportation (arrivée à la gare Saint-Lazare le 9 novembre 1880) et son incarcération en avril 1883: elle disposait en effet d’un tirage lors de la mort de sa mère. Voir L’Intransigeant daté du 7 janvier 1885:
Louise Michel, avant de retourner à [la prison de] Saint-Lazare [elle a pu sortir pour aller à l’enterrement], a voulu placer auprès, du corps de sa mère quelques souvenirs: une photographie d’elle accoudée sur un rocher, encadrée de peluche rouge ; une mèche de ses cheveux attachée avec un ruban noir et mélangée du bouquet d’immortelles rouges qu’elle à rapporté de l’enterrement de son amie Marie Ferré [en février 1882]; le portrait de cette dernière; enfin quelques-unes des fleurs apportées à la malade ces derniers jours.
Le cercueil de sa mère. Mais elle distribue aussi cette photographie à ses amis et correspondants. Voyez, par exemple, le verso de l’exemplaire de la BnF:
Cela se faisait, à l’époque, d’envoyer sa photo dédicacée. Même de prison…
Ce retour chez Appert semble singulier. Je ne sais pas s’il y a eu d’autres cas.
Il y a aussi des attributions à Appert par défaut — on ne prête qu’aux riches… Par exemple, on trouve la célèbre (? ou unique?) photographie de Marie Ferré sur le site de l’IISG d’Amsterdam où elle est dite « par Appert » (capture d’écran le 3 février 2022):
Je l’ai déjà publiée dans un article sur Marie Ferré. Marie Ferré serait alors elle aussi allée, comme son amie Louise Michel, chez ce photographe? J’ai un petit doute, je l’ai déjà dit. Le médaillon de la photo n’est pas dans le style, la carte n’est pas une carte d’Appert, la photo ne figure pas dans les collections de Carnavalet, elle semble ne pas être au catalogue de la Bibliothèque nationale de France…
Et d’ailleurs… la photographie des trois femmes,
Marie Ferré, Louise Michel, Paule Minck, semble être due à un autre photographe, « J.-M. Lopez, 40 rue Caumartin », comme on peut le voir sur le site du musée de Saint-Denis. C’est sans doute le même jour — entre 1880 (le retour) et 1882 (mort de Marie Ferré) — que ce photographe a réalisé cet autre portrait de Louise Michel, que l’on trouve à la Bibliothèque historique de la ville de Paris:
Marie Ferré a elle-même fait au moins une photographie, celle de son frère Théophile mort. On la trouve (encore) dans le livre de Dayot…
… avec la légende:
Th. Ferré après son exécution
Au dos de ce document photographique, qui nous a été
communiqué par M. Gromier, se trouve la note suivante:
Les restes de Théophile Ferré, mis sur le lit de sa sœur,
53, rue Fazilliau, à Levallois-Perret, puis photographiés
par sa sœur elle-même aidée de feu Ramex.
Eh bien, en voilà, une source! Qui pose de nouvelles questions… Comment cette photographie est-elle arrivée jusqu’à Marc-Amédée Gromier? Pourquoi n’est-elle pas restée entre les mains de la famille Ferré ou de Louise Michel (qui était encore vivante, à la parution du livre de Dayot)? Et surtout: où est cette photographie aujourd’hui?
*
Les trois photographies de Louise Michel à Versailles viennent du musée Carnavalet. La photo « au rocher » (et son verso) viennent de Gallica.
Les remarques en bleu [comme ça] ont été ajoutées le 1er novembre 2022, motivées par un très intéressant message que m’a envoyé Cédric Piktoroff. Je l’en remercie.
Livres cités
Tillier (Bertrand), La Commune de Paris, révolution sans images?, Champ-Vallon (2004).
Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles, autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.). [1901]