Suite de l’article précédent.
Je reprends l’article de Maxime Lisbonne dans L’Ami du Peuple du 27 novembre 1884 où je l’avais interrompu (en noir). Et je l’accompagne de nombreux commentaires (en bleu).
L’insurrection canaque éclata, et le lieutenant Servan confia au citoyen-forçat Amouroux le commandement de vingt forçats [le Maitron fait état de trente et un « condamnés », ce qui n’est pas contradictoire] pour aller la combattre.
Il est question maintenant de la grande révolte kanak de 1878, un des grands moments de la répression coloniale, symbolisée par l’histoire de la tête du chef Ataï: après plusieurs mois de combats, le chef Ataï est décapité à la fin août et sa tête, sans doute considérée par les barbares colonialistes comme un trophée de guerre, envoyée en France — je devrais écrire « en métropole », mais j’ai un peu de mal — je cite La Liberté du 3 janvier 1879, un petit cadeau « que le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie annonce au directeur du Muséum d’histoire naturelle. Cet heureux savant vient d’apprendre qu’on lui envoie comme étrennes la tête du chef Ataï, l’un des meneurs de la dernière attaque des Canaques contre les établissements français », puis plus ou moins exposée glorieusement… jusqu’en 2014 (cent trente-six ans!!!) où elle est rendue à la Nouvelle-Calédonie et à la tribu d’Ataï. Mais revenons à 1878. Pour vaincre cette insurrection, l’armée coloniale a eu besoin d’aide… et des communards, qui étaient là comme condamnés, déportés ou bagnards, ont participé. C’est ce que Maxime Lisbonne reproche à Amouroux d’avoir fait — et on est heureux de trouver cette condamnation là, en 1884, qui est aussi un des grands moments du colonialisme, de ses bienfaits et de ses guerres.
Je me permets une petite digression de ce côté (1884), guerre au Tonkin — oui, il y aura une guerre d’Indochine, une guerre de Vietnam, c’est le même pays et la guerre est déjà commencée –, il y a une guerre (anglaise et coloniale) au Soudan, etc., etc.
Et je redonne la parole à Maxime Lisbonne, qui condamne, en effet:
Amouroux ne se souvenait pas qu’il avait été membre de la Commune et qu’il combattait des hommes qui voulaient conquérir leur liberté, leurs droits, absolument comme lui en 71.
Que des forçats de droit commun eussent consenti à combattre l’insurrection, rien de plus juste, car ils avaient, en se conduisant ainsi, une espérance: « La grâce ». [Une recherche assez banale dans le Maitron en ligne, celle de l’expression « insurrection canaque« , produit les fiches de six communards, deux bagnards et quatre déportés, qui ont été graciés pour cette raison. Pourtant, je l’ai dit, la notice sur Amouroux mentionne trente et un condamnés.]
Pierre et deux autres forçats de la Commune ont trouvé la mort au camp de Boulari, attaqué par les Canaques [ce Pierre est peut-être Pierre Houet, condamné à 20 ans de travaux forcés, qui est officiellement « disparu » pendant l’insurrection; le Maitron connaît un autre disparu, mais dont la peine avait été commuée, Antoine Corniche]. D’après le surveillant Lucas, des trois condamnés ont vendu chèrement leur vie, mais je suis convaincu qu’ils n’auraient jamais consenti à se former en une compagnie, une escouade pour combattre des hommes qui voulaient être libres.
Nommé membre du Conseil municipal [il a été élu par le quartier de Charonne, vingtième arrondissement en 1881, et réélu en 1884], il déploie toute son activité; il faut reconnaître qu’il a tout fait pour organiser les Chambres syndicales.
Mais aussi, il vote contre la proposition Joffrin sur le rétablissement de la garde nationale — proposition enterrée à l’avance, et Amouroux ne se souvient pas que c’est à cette garde nationale qu’il doit d’être conseiller municipal [parce qu’il lui doit sa notoriété, due à la Commune].
À une proposition de Vaillant sur une indemnité à accorder aux condamnés de la Commune, il vota contre — motivant son vote « que les condamnés de la Commune étaient trop fiers pour accepter une aumône ». — Bien aimable pour les victimes du 2 décembre.
Aussi pour ce vote courageux, le Conseil municipal le nomme vice-président.
Voici les élections législatives de 85. Amouroux sera sur les rangs, il faut qu’il soit nommé, je suis d’avis qu’il faut envoyer à la Chambre des nullités, car 30 ou 40 républicains sincères à nouveau ne changeraient en rien la situation.
Plus il y aura d’incapables, plus il y aura de députés prêts à changer d’opinion et à ne rien faire, plus vite ils dégoûteront les hommes de tous les partis, et la débâcle arrivera, c’est-à-dire que la Révolution éclatera [il semble que le nombre de plus en plus grand de députés tels que ceux que tu décris n’entraîne pas la Révolution, camarade Lisbonne! au contraire, hélas].
Donc, votez pour Amouroux, il aidera à précipiter la chute.
Électeurs de Paris et de St-Étienne, envoyez-le à la Chambre — il y a droit. On peut dire de lui comme des omnibus Madeleine-Bastille: Complet!
Maxime Lisbonne
En effet, Charles Amouroux a été élu député de la Loire en avril 1885. Mais il n’a pas siégé longtemps: il est mort en mai 1885, ce que nous verrons, encore avec l’aide de Maxime Lisbonne, dans un prochain article.
À suivre, donc
Je reviendrai aussi certainement sur les communards et l’insurrection kanak dans quelques mois…
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Comme pour l’article précédent, j’ai utilisé les fiches dans les archives des bagnes aux Archives nationales (anom) en ligne. Et toujours, L’Ami du Peuple et le Maitron en ligne.
Je n’ai pas eu le courage de reproduire les images (françaises, coloniales) d’époque de l’insurrection kanak. Celle que j’utilise comme couverture ne montre que des « blancs » et vient du Monde illustré du 28 septembre 1878 (n’hésitez pas à suivre le lien et à tourner les pages!).