Voici un article paru dans le tout premier numéro de L’Ami du Peuple, de Maxime Lisbonne, le 27 novembre 1884. Les parties en bleu (comme cette phrase) me sont dues.

Amouroux, chapelier, garçon très remuant, très actif et qui n’est pas dépourvu d’intelligence.
En ce moment, il est très malade. Ses ennemis disent que la seule voix qu’il ait obtenue, à la dernière élection comme président du Conseil municipal est celle du citoyen Georges Berry. — Depuis ce jour, il est alité.

Qui ne se souvient d’avoir vu Amouroux aux derniers temps de l’Empire dans les réunions publiques?..
Il travaillait 14 heures par jour et, quittant l’atelier, il ne prenait pas la peine de souper. On le voyait courir en dévorant son petit pain assaisonné d’un cervelas, pour ne pas arriver après la formation du bureau [de la réunion à laquelle il va participer].
Coiffé du brillant chapeau haut de forme, tablier de serge noir en bras de chemise, il présidait souvent les réunions sous ce costume, qui semblait dire aux clubistes: Vous voyez, pour venir défendre vos droits, ni je ne mange ni je ne me change.

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La guerre de 70 arriva; il fit son devoir en vrai patriote.
71, il fut élu membre de la Commune, il fit partie de la Commission des affaires extérieures. [Surtout, il s’est occupé du secrétariat de l’assemblée communale, on y reviendra.]
Le lundi, au moi de mai, à l’entrée des versaillais [2 mai], visiter la poudrière Beethoven, il tomba dans une embuscade ennemie et fut fait prisonnier.
Un instant, il voulut vendre chèrement sa vie, mourir comme tous les membres de la Commune auraient dû faire, mais il réfléchit que son existence appartenait à l’avenir: à la Révolution!

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Condamné aux travaux forcés [Charles Amouroux n’a pas été jugé au procès « des membres de la Commune », en août 1871, parce qu’il a réussi à dissimuler assez longtemps son identité et parce qu’ensuite il a été jugé pour son action à Lyon, il a finalement été condamné aux travaux forcés à perpétuité le 22 mars 1872], il fut dirigé sur Toulon [il y arriva le 24 avril], endossa la casaque rouge et le bonnet vert [qui signalait la perpétuité], orné d’une chaîne aux pieds et attendit son départ pour la Nouvelle-Calédonie.
Si je ne me trompe, il embarqua sur la « Virginie » ou l’ « Alceste » [sur la frégate la Virginie le 19 juin 1872]. Arrivé à l’île Nou [le 24 septembre], il fut envoyé au camp de St-Louis, en compagnie d’Alphonse Humbert, Géresme [Humbert et Géresme (élu à la Commune par le douzième arrondissement) sont arrivés aussi par la Virginie] et d’autres dont les noms m’échappent; occupé aux travaux les plus pénibles [classé « fatigant » dans le langage et les archives du bagne…], et mené par les surveillants de la façon la plus dure.
D’une santé délicate, mais énergique et courageux, il put supporter les privations les plus terribles et même les labeurs supplémentaires.
Pendant les heures de repos, il s’employait à couvrir en paille les gourbis des surveillants.
Ces messieurs lui en surent gré, les coups de botte pleuvaient autant sur les forçats de la Commune, mais ils constatèrent que, si le nombre était le même, il y avait diminution de force dans le coup de pied [la fiche du bagne indique qu’Amouroux n’a reçu aucune récompense, aucune punition].

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Après 3 années de souffrances, il rentra à l’île Nou, fut employé à la gamelle des surveillants, comme jardinier.
Amouroux a prétendu qu’il avait accepté cette situation peu honorable afin de pouvoir se rendre à Nouméa et entrer en rapport avec des déportés qui le le chargeraient de faire connaître en France leur triste situation [Je suppose qu’il veut dire l’inverse, les déportés faisant connaître la triste situation des bagnards].
Amouroux  savait bien cependant qu’on n’avait pas attendu après lui pour arriver à faire passer des correspondances illicites. — Allemane, Trinquet, Dacosta, Giffault, Morterol, Roger, Berthier, Vinot et autres avaient risqué plus de cent fois la bastonnade pour les relations qu’ils avaient nouées avec des médecins, officiers, fonctionnaires.
Le docteur Leprévost a perdu sa situation pour les forçats de la Commune. Reparti à Canala sous les ordres du lieutenant de vaisseau Servan, commandant le pénitencier, Amouroux y fut employé jusqu’à l’amnistie, comme piqueur aux ponts et chaussées.

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La fiche du bagne ne contient pas ces précisions de lieux ni d’emplois. Elle indique toutefois qu’Amouroux a refusé de faire un recours en grâce et qu’il avait de très bonnes notes (en 1877), puis que sa peine a été commuée en dix années de bannissement (le 24 juillet 1879). Mais l’article de Maxime Lisbonne ne s’arrête pas là et, justement, c’est de 1878 qu’il parle ensuite. Ce sera pour nous dans l’article suivant.

À suivre, donc.

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Les renseignements complémentaires viennent des dossiers individuels du bagne de Charles Amouroux, Hubert Geresme et Alphonse Humbert aux Archives nationales (anom) (en ligne).

J’ai déjà publié cette caricature du chapelier Amouroux dans un article ancien, du temps où Amouroux était à Sainte-Pélagie (février 1870).