30 novembre 1884 (suite)
Comme je l’ai annoncé, la division en chapitres n’étant pas la même dans le feuilleton et dans le manuscrit, je l’ai supprimée, la division en articles de ce site (dont les titres me sont dus) la remplace.
Le 10 mars [C’est donc un peu avant le 18 mars que commencent ces souvenirs], j’allai consulter un ancien avocat, Me Weil qui, depuis longtemps, occupait un emploi au ministère de l’Intérieur, sur une demande que je désirais envoyer à M. Picard, alors ministre.
Voici ce dont il s’agissait:
Le général Le Flô, rappelé par le gouvernement de la Défense [il était ministre de la guerre du gouvernement Thiers], après avoir été placé dans le cadre de réforme par le gouvernement impérial, en 1871, était rentré dans son grade, et le gouvernement venait de décider qu’il lui serait fait un rappel de solde depuis l’époque de son renvoi jusqu’au jour de sa réintégration.
Or, mon père se trouvait dans un cas absolument semblable. (Le lecteur me pardonnera d’entrer ici dans quelques détails.)
Nommé officier par récompense nationale en 1830 et décoré de juillet, chevalier de la légion d’honneur, il avait été mis à la réforme une première fois en 1834 à la suite du procès des poudres où il avait été compromis avec ses amis Guinard, Styler, Herford, etc. En février 1848, il fut nommé chef de bataillon dans le 6e arrondissement.
4 décembre 1884
Quelques temps après, sous Caussidière, à la formation de la Garde républicaine, il y fut nommé capitaine. (Cette formation rentrait complètement dans l’armée régulière).
Lors des événements de 1851 il refusa son concours au coup d’État et fut mis par la suite à la réforme. Il resta dans la vie privée jusqu’en 1868, époque de sa mort. Seul héritier, je pensai que ce qui venait d’être fait par le général au point de vue du traitement de réforme qui n’avait pas été réglé sous l’Empire, et que mon père aurait dédaigné de réclamer, à cette époque, pouvait être fait pour moi et la demande que j’adressai à M. Picard était basée sur ce sujet.
[Ici, j’interromps Maxime Lisbonne pour deux remarques.
- Le dossier d’Auguste Lisbonne à la légion d’honneur contient le fait qu’il a été fait chevalier de la légion d’honneur le 10 août 1848, alors qu’il était capitaine de la Garde de Paris (Voir la base « Leonor « des Archives nationales). Il garde aussi la trace d’une demande de Marcel Cerf (non datée), qui voulait connaître la cause de la nomination, et de la réponse (10 mars 1972) du « Secrétaire », qui s’est sans doute fait un plaisir de lui écrire :
J’ai le regret de vous faire savoir que malheureusement je ne possède qu’un document reconstitué de Auguste Lisbonne, l’original ayant sûrement été détruit lors de l’incendie de la Grande Chancellerie en 1871.
- La deuxième remarque est complémentaire. Comme certainement Marcel Cerf, qui n’en a rien écrit, je me demande si cette décoration à cette date et pour un capitaine de la garde de Paris peut récompenser autre chose qu’une belle action pendant la répression de l’insurrection de juin… la réponse fait malheureusement peu de doute. Auguste Lisbonne a été nommé chevalier de la Légion par le président du conseil, c’est-à-dire Cavaignac lui-même, parmi dix-huit officiers, sous-officiers et soldats de la garde républicaine, comme on peut le lire dans la Gazette nationale du 11 août 1848 (et comme l’ont repris plusieurs quotidiens). Il est vrai qu’il est plus facile de consulter la presse de l’époque aujourd’hui qu’en 1972.
Il est bien possible que Maxime Lisbonne ne se soit pas posé la question, il est resté concentré sur la résistance de son père au coup d’état du 2 décembre 1851.
Retrouvons-le donc s’adressant au ministre Ernest Picard.]
Je lui écrivis donc le 12 mars, afin d’obtenir une audience et vingt-quatre heures après j’étais reçu dans le cabinet du ministre.
L’audience ne fut pas longue, M. Picard approuva ma demande. Il se souvenait de mon père, me questionna sur la parenté avec un certain nombre qu’il connaissait particulièrement. Il se souvenait aussi de l’amitié qui avait uni mon père avec MM. Bixio, Greppo, H. Martin et Ledru-Rollin, etc. [républicains de 48]. Enfin, il me dit qu’il se faisait fort d’obtenir une solution prompte en ma faveur.
Nous causâmes un peu politique, il fut question surtout des canons qui appartenaient à la Garde nationale et qui étaient gardés par les légions. Il essaya de me faire exprimer mon opinion à ce sujet. je ne voulais pas m’engager trop en avant, car je savais ce ministre capable de chercher à connaître mes opinions, afin de les mettre dans la balance avec la demande que je lui adressais.
Enfin, je me retirai sans avoir trop confiance dans le résultat de ma démarche, malgré le ton de bienveillance avec lequel M. le ministre m’assurait que je réussirais.
(À suivre)
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Les croquis de gardes mobiles de 1848 viennent du musée Carnavalet.