La préface, commencée dans l’article précédent, se continue ici (et dans le numéro du 30 novembre 1884 de L’Ami du Peuple).

Préface
(Suite)

Enfin, cette gauche qui, au lieu de donner sa démission en mars 1871, a préféré rester à Versailles avec l’homme de Transnonain [Il s’agit d’Adolphe Thiers, responsable de la tuerie de la rue Transnonain en 1834, en répression d’une émeute dans ce quartier — la rue Transonain a, depuis, disparu sous la rue Beaubourg], et qui par cette lâcheté a permis à Monsieur Thiers de laisser croire à la province que tous les honnêtes républicains s’étaient groupés autour de lui, que les révolutionnaires de Paris sous prétexte de défendre la République n’étaient que des bandits mettant la Capitale à feu et à sang [et de laisser continuer à répéter, encore au vingt et unième siècle, des contre-vérités telles que « Versailles, c’est là où la République s’est retranchée quand elle était en danger »].

Je ne pouvais consentir à appeler Honorables ces hommes qui se levaient au 28 mai pour déclarer avec l’Assemblée Royaliste de Bordeaux [l’assemblée élue le 8 février 1871 était très majoritairement monarchiste ; elle avait commencé par se réunir à Bordeaux, mais elle avait choisi de siéger à Versailles en mars 1871] que l’armée versaillaise avait bien mérité de la Patrie.

Il faudrait être du bois dont on fait les députés pour songer un seul instant à briguer du suffrage universel l’honneur d’aller les rejoindre.

Non! Mieux vaudrait cent fois être encore au bagne que d’être ainsi parjure à ses sentiments.

Je sais bien qu’on me répondra qu’en politique il n’y a pas de sentiments, par conséquent pas d’honnêteté.

Tant pis.

Ah! quand viendra le jour où l’on pourra traiter les gens comme ils le méritent, tout en restant dans les termes qu’il convient d’employer. Ah! ce jour là, soutenu par des électeurs fortement convaincus, qui vous auront donné la mission de punir les hommes qui, en 1871, nous envoyèrent au bagne!

Alors on pourra ajouter au qualificatif d’honorable le substantif qui manque, tel que:

L’Honorable assassin Galliffet.

L’Honorable capitulard Vinoy.

Il se pourrait qu’un président de la Chambre trouvât encore une majorité assez complaisante pour vous appliquer la censure pour six mois comme on l’a fait en 1871 au député Ordinaire lorsqu’il qualifia d’assassins la commission des grâces [voir nos articles à ce sujet]. Possible mais fort du mandat de ses électeurs, ce serait avec eux que l’on se rendrait à l’Assemblée; et prenant la parole malgré la censure, si l’on voulait réitérer le scandale du député Manuel sous la restauration [il s’agit de Jacques Antoine Manuel, 1775-1825, député de gauche et de Vendée sous la Restauration, que le président fit expulser de l’Assemblée par la force, voir sa biographie sur le site de l’Assemblée nationale], en employant la force pour vous expulser, on répondrait à la force par la force, et faisant envahir la Chambre par les citoyens qui vous ont élu, on y prononcerait les paroles suivantes:

« Vous m’avez, par un vote, fermé la bouche pour six mois.
Au nom de la Révolution, je vous la ferme à jamais. »
Peuple souverain fais ton devoir.
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………………………..

Rassurez-vous, lecteurs, ni vous ni moi ne verrons cette époque. Mais, ce que nous pourrions voir encore, c’est une légion de fous, d’éhontés réactionnaires essayant, à nouveau de renverser la République. Je ne le souhaite pas.

Mais, en tout cas, ce que je réclame de vous, c’est une petite place derrière la première barricade que vous élèverez pour défendre la République, c’est la gloire de mourir en combattant pour elle.

(À suivre)

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J’ai déjà utilisé plusieurs fois cette gravure de Steinlen représentant Galliffet, ici par exemple.