Suite de mes réactions à une vieille proposition de Jacques Rougerie (article précédent).
Nous en étions à suivre (dans Le Rappel) le cheminement du cortège de l’enterrement de Thiers, qui nous amenait devant le Père-Lachaise, mais nous, la foule (vile ou pas), n’avons pas été autorisés à le suivre dans le cimetière où des discours ont été prononcés (ils seront qualifiés un peu plus bas), non, pas devant le mur des Fédérés, et pas seulement parce que celui-ci n’existait pas encore comme tel. Le journaliste du Rappel dit encore:
En dehors du cimetière, deux régiments de cuirassiers, nous a-t-on affirmé, stationnaient sur le boulevard de Puebla [ici, à proximité du cimetière, notre rue des Pyrénées].
Ce grand déploiement de troupes était inutile.
Inutile, peut-être, mais il était là. Les dirigeants politiques étaient-ils moins naïfs que Jacques Rougerie?
Peut-être espéraient-ils arrêter encore quelque communards — l’auteur de Procès des communards avait-il oublié que les conseils de guerre ont « jugé » des communards jusqu’en 1879?
On peut aller un peu plus à gauche que Le Rappel et lire Le Mot d’ordre, journal républicain radical et qui n’a pu paraître que du 9 juillet au 3 octobre 1877. Voici:
Cet homme avait, par deux fois, porté la désolation et le deuil dans la cité. Les quartiers populeux que son cercueil a dû traverser pour arriver à sa dernière demeure pleurent encore les nombreux absents que ses conseils de guerre ont envoyés là-bas, et d’où bien peu songent à les rappeler parmi les sénateurs ou anciens députés qui illustraient le cortège. Eh bien! Il a suffi que le drapeau républicain fût moralement déployé sur le corbillard, pour que pas un cri de malédiction ou de douleur ne vînt se mêler aux acclamations qui saluaient le premier Président de la République qui, depuis le général Cavaignac, ait su dignement descendre du pouvoir.
Et, puisque j’ai parlé du Rappel et que tous les journaux disent que Victor Hugo était présent aux obsèques et qu’il a été à plusieurs reprises acclamé par la foule, voici ce que le grand homme lui-même dit de cette journée d’obsèques dans ses Choses vues:
8 septembre
Aujourd’hui enterrement de Thiers. J’y suis allé. Trajet à pied de la maison place Saint-Georges à Notre-Dame de Lorette; de là au Père-Lachaise par les boulevards. Foule immense. Discours médiocres. Il y a eu des choses touchantes, la bannière de Belfort.
Peu d’enthousiasme!
Les journaux dressent en effet de longues listes de bannières et de couronnes envoyées par différentes villes de France. La ville de Versailles, notamment, que Le Mot d’ordre a mise deux fois dans sa liste…
L’étendard de Belfort produit particulièrement une grande impression.
note Le Rappel. Contrairement à la Moselle et au reste de l’Alsace, le Territoire de Belfort n’avait pas été cédé à la Prusse. L’image de la bannière est parue dans Le Monde illustré le 15 septembre 1877 où l’on trouvera beaucoup d’autres images de ce moment… inoubliable.
Aucun journal n’indique de couronne ou de bannière envoyée par les pontons de Brest ou de Cherbourg.
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Je remercie Emmanuel Brandely de m’avoir rappelé cet article de Rougerie.
Livre et article cités
Rougerie (Jacques), Procès des communards, Julliard (1964), — « Une insurrection républicaine », L’Histoire (Hors Série) (2021), p.92.
Hugo (Victor), Choses vues, Quarto Gallimard (2002).