Les « lois de la guerre » interdisent d’exécuter les prisonniers. Versailles a refusé de considérer les communards comme des belligérants et, en particulier lors de la « sortie torrentielle » d’avril, de nombreux prisonniers ont été tués, comme Émile Duval, une exécution dont nous avons eu maintes fois l’occasion de parler (voir ici une image reconstituée) ou Flourens, nous l’avons encore vu dans les souvenirs de Maxime Lisbonne, et comme bien d’autres.

C’est l’indignation provoquée par ces exécutions qui a motivé le « décret des otages« , voté à l’unanimité par l’assemblée communale le 5 avril.

Dans La Semaine de Mai, Camille Pelletan écrit:

Cette mesure eut pour effet d’interrompre les exécutions.

Ce que, dans la réédition de ce livre, j’ai accompagné d’une note:

Cette affirmation est à nuancer.

J’avais moi-même repris cette opinion dans La Semaine sanglante et, à la suite d’une remarque que m’avait faite Maxime Jourdan, j’ai ajouté (lors du deuxième tirage du livre) une note de bas de page et une phrase dans la postface de ce retirage:

Il y a eu des prisonniers exécutés par les versaillais à La Belle-Épine le 25 avril. Cette question mériterait une étude complète.

À défaut d’une étude complète, voici quelques informations sur cette exécution. Voyez l’affiche en couverture. Quatre prisonniers ont bel et bien été exécutés (l’un d’eux semble avoir survécu). Comme l’affiche le montre, des membres de la Commune ont mené une enquête. Voici, en complément de cette affiche, de larges extraits (en vert) du procès verbal de la réunion de la Commune le 27 avril.

Les citoyens Langevin, Gambon, Vésinier, ont été délégués à Bicêtre pour faire une enquête sur les quatre gardes nationaux du 1.85e bataillon de marche de la Garde nationale. Ils étaient accompagnés du citoyen Raoul Rigault, procureur de la Commune, Ferré et Léo Meillet et ils se sont rendus à l’hospice de Bicêtre où ils ont visité le citoyen Scheffer, garde national du susdit bataillon, appartenant au Xllle arrondissement.

Le citoyen Scheffer, blessé grièvement en pleine poitrine, était alité. Le médecin qui le soigne ayant déclaré que le malade était en état de répondre aux questions qui lui seraient adressées, les citoyens Gambon.et Vésinier l’ont interrogé. Le malade a déclaré que, le 27 [sic, pour 25] avril, à la Belle-Épine, près de Villejuif, il a été surpris avec trois de ses camarades par des chasseurs à cheval qui leur ont dit de se rendre. Comme il leur était impossible de faire une résistance utile contre les forces qui les entouraient, ils jetèrent leurs armes à terre et se rendirent. Les soldats les entourèrent, les firent prisonniers sans exercer aucune violence ni aucune menace envers eux.

Ils étaient déjà prisonniers depuis quelques instants, lorsqu’un capitaine de chasseurs à cheval arriva et se précipita sur eux, le revolver au poing; il fit feu sur l’un d’eux, sans dire un seul mot, et l’étendit raide mort, puis il en fit autant sur le garde Scheffer, qui reçut une balle en pleine poitrine et tomba à côté de son camarade.
Les deux autres gardes se reculèrent effrayés de cette infâme agression, mais le féroce capitaine se précipita sur les deux prisonniers et les tua de deux autres coups de revolver.
Les chasseurs, après les actes d’atroce et féroce lâcheté qui viennent d’être signalés, se retirèrent avec leur chef, laissant leurs victimes étendues sur le sol.
Lorsqu’ils furent partis, l’une des victimes, le citoyen Scheffer, se releva, et par un effort désespéré, parvint à se rendre auprès de son bataillon, campé à quelque distance et duquel il parvint à se faire reconnaître.
Deux des gardes nationaux tués sont restés sur le terrain et n’ont pu être retrouvés encore.
Le cadavre du 4e garde national a été retrouvé non loin du lieu du massacre, où ce malheureux soldat-citoyen avait pu se traîner.
L’état du garde national Scheffer est aussi satisfaisànt que possible. Quoique sa blessure soit grave, elle n’est pas mortelle, et sa position n’a rien de dangereux. Le docteur répond de sauver le malade, dont la jeune femme vient d’accoucher, il y a moins de 10 jours.

Cette mention permet de retrouver l’identité de ce garde, il s’agit de Balthazar Schefer (orthographe de l’état civil), un journalier âgé de 22 ans habitant 11 rue Pinel (père, avec la blanchisseuse Louise Mélanie Frossac, d’une petite Pauline Alexandrine née le 17 avril).

Vésinier ajoute:

Le citoyen Scheffer est d’origine étrangère [?]. Son état, quoique très grave, n’est point désespéré, les médecins sont même d’avis qu’il peut être transporté dans son arrondissement. Du récit exact qu’il m’a fait de cet assassinat, j’ai conclu que le seul coupable était l’officier, le bourreau qui a accompli ces exécutions successives. Les soldats versaillais non seulement n’ont point tiré un seul coup de fusil contre les prisonniers, mais leur attitude prouvait qu’ils étaient indignés de la lâcheté sanguinaire de leur chef. Citoyens, s’il nous faut user de représailles, frappons les chefs, frappons les officiers; eux seuls sont nos ennemis. L’esprit des soldats versaillais n’est pas mauvais; ils ne demandent pas mieux que de cesser la lutte. Ménageons-les donc quand ils se rendent à nous et ne les poussons pas à nous combattre à outrance.

Il n’est pas le seul à croire à une sorte de pureté des soldats versaillais: ce sont, comme les communards, des gens du peuple… Cette naïveté, qui semble aujourd’hui invraisemblable, était bien ancrée. Personne n’est intervenu contre, et même, le citoyen Vallès a commenté d’un:

Je suis absolument de cet avis.

La dernière manifestation de cette naïveté a été l’affiche adressée aux soldats versaillais au début de la Semaine sanglante.

Pour plus de réalisme, je renvoie à ma série de lettres de soldats versaillais (voir, dans cet article, des liens sur toutes ces lettres).

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Les affiches sont dans les Murailles politiques. 

Livres cités

Pelletan (Camille)La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Murailles politiques françaises, Paris, A. Le Chevallier (1873-1874).