Je propose dans les articles qui suivent celui-ci d’autres formes de témoignages. Il s’agit de soldats versaillais qui écrivent à leurs familles ou à des amis pour donner des nouvelles et raconter ce qu’ils font ou ont fait, notamment à Paris.

La plupart de ces lettres sont signées de Germain Dathie. Elles s’échelonnent d’août 1870 à juillet 1871. Il écrit assez régulièrement à sa famille, des « petits cultivateurs » (dit son petit-fils, mais sur l’acte de naissance de Germain Dathie, le père se dit charpentier) de Sacy-le-Grand, dans l’Oise. On le verra au début de la guerre, à Paris pendant le siège prussien, quitter Paris après le 18 mars, se battre contre Paris, hors les murs puis dans les murs, et raconter la Semaine sanglante. La famille est assez aisée pour lui payer ensuite un remplaçant. Ces lettres ont été publiées par un des ses petits-fils en 1962. J’en ai appris l’existence parce que Jean Braire en citait une dans son livre Sur les traces de communards — hélas sans en donner la source. C’est Maxime Jourdan qui m’en a indiqué la référence. J’ai déjà cité une de ses lettres dans La Semaine sanglante.

Deux autres lettres sont dues à Bernard Cazagne, qui était forgeron à Seilh (près de Toulouse). Il est né le 31 janvier 1849, d’un père laboureur et d’une mère ménagère. Les lettres ont été publiées par un historien du Comminges, Guy-Pierre Souverville. J’ai appris leur existence, grâce à une suggestion de Laure Godineau, dans un livre de Jean-François Lecaillon.

Une autre est due à un cavalier du 36e de marche nommé Benoît, originaire du Puy-de-Dôme. Elle a été publiée par Jean Dautry dans La Pensée en 1958. J’en ai trouvé la référence dans La Guerre contre Paris, de Robert Tombs.

Une autre encore est écrite par Hilaire Chaillaud, né le 23 décembre 1850 à Villexavier (Charente-Maritime), fils d’un forgeron et d’une cultivatrice. Je l’ai trouvée sur ce site.

J’ai intercalé une lettre d’un artilleur versaillais que Camille Pelletan a publiée dans La Semaine de Mai sans indiquer le nom de son auteur. Le soldat raconte, avec son orthographe que l’auteur n’a pas corrigée (et moi non plus), son entrée dans Paris au début de la Semaine sanglante. Camille Pelletan en garantit l’authenticité et, après deux années de travail au corps à corps avec ce livre, La Semaine de Mai, je crois qu’on peut lui faire confiance.

Enfin, j’ai ajouté deux lettres complètement inédites d’un chasseur à pied nommé Gabriel Labertrande, fils d’un cordonnier de Cavillargues (dans le Gard) que m’a communiquées un de ses descendants et dont le début de l’une sert de couverture à cet article.

Il y a bien d’autres témoignages de militaires versaillais sur cette guerre, qui a duré du 2 avril au 28 mai 1871. Ceux de volontaires, notamment. Et énormément de témoignages d’officiers, soit qu’ils aient répondu à l’Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, soit qu’ils aient écrit des rapports conservés par les archives de l’armée ou de la police, soit encore qu’ils aient publié leurs souvenirs, leur histoire. Voir, notamment, la bibliographie de La Guerre contre Paris de Robert Tombs.

Ici, c’est plutôt au soldat « de base » que je m’intéresse.

Comment ces jeunes gens « ordinaires » sont-ils devenus les auteurs de ce massacre de masse?

Beaucoup des jeunes soldats sont issus des mêmes couches sociales que les communards qu’ils combattent. Ceux dont nous avons les lettres sont peut-être un peu plus aisés: ils savent écrire, même avec des fautes (les lettres de Germain Dathie ont clairement été corrigées par son petit-fils, qui les a aussi amputées de toutes les formules de politesse et en a sans doute parfois modifié la rédaction). Bernard Gazagne était forgeron, fils de laboureur. Gabriel Labertrande est fils de cordonnier, mais il semble que le statut de cette profession était plus élevé à la campagne qu’à Paris. En tout cas, lui aussi sait écrire. Et les familles ont conservé les lettres.
Au fait. Si vous avez des lettres d’ancêtres ayant participé à cette guerre, n’hésitez pas à me les faire connaître!

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Pour leur faire commettre les « massacres de Paris », il a fallu persuader les soldats que ce n’était pas à leurs égaux, à des êtres humains comme eux, qu’ils s’attaquaient, mais qu’ils se défendaient contre des brutes alcooliques, des barbares, des êtres déshumanisés. Comme le dit Camille Pelletan, ces soldats étaient des

gars arrachés à leur campagne : on leur avait monté la tête avec soin, avant l’entrée dans Paris ; leurs chefs leur disaient : fusillez ; la foule applaudissait au massacre. Ils ne voyaient pas plus loin : ils tuaient.

C’est vrai, mais c’est aussi un peu plus complexe. J’ai été beaucoup aidée, alors que j’avais commencé à préparer cette série d’articles, par la lecture du remarquable livre de Laurent Olivier sur le massacre de Wounded Knee (29 décembre 1890): dans cette deuxième moitié du dix-neuvième siècle, ici comme là-bas, déjà les mécanismes du crime de masse sont en place.

Je vais publier ces lettres dans l’ordre chronologique dans les prochains articles. Évidemment, je ne pourrai pas résister à quelques commentaires.

Voici la liste des dates des lettres

Dathie 12, 17, 21 et 29 août, 6 et 18 septembre, 8 novembre
Labertrande 12 janvier
Dathie 10 février, 2 et 21 mars, 2, 16 et 20 avril,
Gazagne, 2 mai
Benoît, 6 mai
Dathie, 7, 10 et 16 mai
X, 22 mai
Chaillaud, 27 mai
Dathie, 28 mai
Gazagne, 1er juin
Labertrande, 1er juin
Dathie 3, 10 et 29 juin, 8 juillet

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Merci à Maxime Jourdan, Laure Godineau, Bénédicte Rabeyrolles, Laurent Olivier et Frédéric Fredj pour leur aide diverse.

Livres cités

Lettres d’un chasseur à pied pendant le siège de Paris et la Commune 1870-1871 (recueillies par son petit-fils M. F . Bouchez), Comptes rendus et mémoires de la Société archéologique et historique de Clermont-en-Beauvaisis, tome 31 (1962-1964).

Braire (Jean)Sur les traces des communards, Paris, Les Amis de la Commune (1988).

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Souverville (Guy-Pierre)La Commune de Paris vue par Bernard Gazagne, forgeron de Seilh, Revue de Comminges, Pyrénées Centrales, Saint-Gaudens, vol. 95 (1981).

Lecaillon (Jean-François)La Commune de Paris racontée par les Parisiens, Bernard Giovanelli (2009).

Dautry (Jean)Trois documents auvergnats concernant la Commune, La Pensée n°82, novembre-décembre 1958, p.122.

Tombs (Robert), La guerre contre Paris 1871, Aubier (1997).

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).

Tombs (Robert), La guerre contre Paris 1871, Aubier (1997).

Olivier (Laurent)Ce qui est arrivé à Wounded Knee, L’enquête inédite sur le dernier massacre des Indiens (29 décembre 1890), Flammarion (2021).