Je le montrerai dans un prochain article (en octobre), il n’y a pas, sauf exception, de photographies « par Appert » des internationalistes communards. Émile Duval en était, de l’Internationale, il a d’ailleurs été jugé pour ça, en juin 1870 (voir cet article et aussi celui-ci). Et il n’y a pas de photographie d’Émile Duval par Appert.
Il est même bien possible qu’il n’existe aucune photographie de lui. Je sais que certains marchands en vendent et même qu’ils trouvent des acheteurs. Je possède même un livre dans lequel l’une d’elles est reproduite
— et des impressions ultérieures duquel on me dit qu’elle a disparu. Le conditionnel « serait celle d’Émile Duval » est prudent, mais peut-être pas assez. Le vendeur n’a pas dû être capable de justifier le fait qu’il s’agissait bien d’Émile Duval. Il y a donc un vrai doute.
Nous devons nous contenter d’un portrait réputé « dessiné par Maxime Lisbonne ». Une attribution répétée par les uns et par les autres, y compris d’ailleurs par moi (dans un ancien article…)… Dans le même livre, je vois cette image présentée ainsi:
Vous pouvez cliquer sur l’image pour l’agrandir et ainsi lire la légende.
Le Cri du peuple du 2 avril 1885? Eh bien, allons-y voir, dans Le Cri du Peuple. Non, non. Ni ce jour-là ni, d’ailleurs, les jours précédents, ni les suivants! De plus, il avait son propre journal, Maxime Lisbonne, L’Ami du Peuple. Il doit y avoir un petit lapsus, le cri pour l’ami…
Et d’ailleurs, Maxime Lisbonne portraiturant Duval? Comédien, journaliste, colonel, bagnard, tenancier de taverne, tout ça, oui, il l’a été, et aussi dessinateur, mais ça ressemble peu à son style (j’y reviendrai sans doute).
Cette même image illustre la couverture du livre de Pierre-Henri Zaidman sur Émile Duval. Une note (due, non pas à l’auteur mais à l’éditeur du livre) à propos de ce dessin dit:
En 1884, à la demande de plusieurs de ses amis, Maxime Lisbonne, ancien colonel de la Commune et forçat en Nouvelle-Calédonie, fait ce dessin pour illustrer un numéro spécial de son journal L’Ami du peuple sur la sortie du 3 avril.
Ah, voilà, Le Cri du peuple, c’était bien L’Ami du peuple!!! et 84, c’est 85… Malheureusement, L’Ami du peuple, celui-là, il n’est pas sur Gallica, mais « simplement » sur un microfilm (pourri) de la BnF. Bon, j’ai déjà assez hurlé à ce sujet dans un article récent. D’autant plus que, depuis cet article, j’ai bénéficié des conseils et de l’aide d’Agnès Sandras, grâce auxquels j’ai pu regarder (et toucher, et photographier) l’exemplaire papier de la BnF (site Tolbiac) exceptionnellement, et juste une fois… Ça ressemble à ce que j’ai mis en couverture de cet article.
Et oui, il y a une image dans L’Ami du peuple. Le 2 avril 1885. Une image d’invention, sous le titre « L’Exécution du Général Duval, 2 Avril 1871 » (en réalité, c’est le 4 avril que cette scène s’est déroulée). Au lieu de vous mettre l’image de la reproduction pourrie du micro-film pourri (et en noir et blanc) dont j’ai déjà parlé, voici une photographie du papier (rose).
Je doute qu’on puisse faire beaucoup mieux avec des moyens comme les miens!
Il y a donc bien un rapport entre cette image et Maxime Lisbonne. Mais il n’en est pas l’auteur!
L’image est signée de Jean Noro (oui, j’ai signalé dans l’article précédent que le mari d’Émilie était un contributeur de ce journal). Qui s’est inspiré de récits classiques, celui de La Liberté, reproduit par Le Vengeur, dès le 8 avril 1871, je cite ici la version courte de Camille Pelletan dans La Semaine de Mai.
Au petit Bicêtre, on rencontra le général Vinoy. Il fît arrêter la colonne. « Y a-t-il des chefs ? » — Duval sortit des rangs avec deux officiers d’état-major. « Vous savez ce qui vous attend, qu’on fasse former le peloton. » Les trois officiers fédérés sautent un fossé, s’adossent à une maisonnette où par une sinistre ironie, étaient écrits ces mots : « Duval, horticulteur, » et tombent en criant : « Vive la Commune ! »
Voici un zoom sur le Duval de l’image précédente:
Je ne sais qui a dessiné le « croquis » représentant Duval. Il ne figure pas plus dans L’Ami du Peuple que dans Le Cri du Peuple. Il a sans doute été réalisé d’après cette image. Peut-être une copie au papier calque?
En tout cas, nous avons sa source: une image de Jean-Baptiste Noro, qui n’y était pas (ceux qui y étaient ont été fusillés ou emmenés comme prisonniers), reconstituant la scène de la mort de Duval, telle que racontée dans les journaux, image parue dans L’Ami du peuple (de Maxime Lisbonne) le 2 avril 1885.
C’est donc un portrait imaginaire d’Émile Duval.
N’empêche… j’aimerais bien savoir où et quand le croquis est apparu pour la première fois! N’hésitez pas à m’écrire si vous le savez!
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Je remercie Pierre-Henri Zaidman pour son aide fraternelle pendant la préparation de cet article.
Livres cités ou utilisés
Cordillot (Michel) (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, L’Atelier (2021).
Zaidman (Pierre-Henri), Émile Duval (1840-1871), général de la Commune, Dittmar (2006).
Pelletan (Camille), La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).