Suite de l’article précédent. Comme toujours les dates sont celles de la publication dans L’Ami du Peuple. Et le bleu m’est dû.

Faire sauter le Panthéon! et cela au moment d’une retraite, je le déclare, c’eût été non seulement de l’infamie, mais de l’idiotisme.

Comment, vous quitterez un quartier, un quartier dont la grande partie est populaire, un quartier dont la majorité des otages combattaient pour la Commune, et vous le ferez sauter! Je le répète, c’eût été du vandalisme, et je ne crois pas qu’il se fût trouvé un homme dans notre parti qui eût approuvé cet acte. [Comme le dit Vallès dans L’Insurgé,  

J’ai eu une peine terrible à retenir Totole et à lui expliquer que, quoique n’aimant pas les monuments, je ne demandais pas qu’on se servît d’eux pour tuer la moitié de Paris.]

Cependant, si, dès le lundi, on m’eût informé de l’intention prise de faire sauter le Panthéon, il y aurait eu une discussion sérieuse afin que la lumière se fît sur la nécessité de cette mesure.

Certainement, ce système de défense étant adopté dans plusieurs quartiers, on eût pu réussir à arrêter la marche des versaillais. Qui sait si, devant cette défense désespérée, le gouvernement de Versailles n’eût pas été obligé d’accepter les propositions de conciliation qu’il avait jusque là si durement repoussées.

Si donc j’eusse eu à faire sauter le Panthéon, voici le plan que j’aurais suivi:

Dans un rayon assez étendu, j’aurais prévenu tous les habitants d’avoir à quitter leurs logements; j’aurais pris soin qu’on leur en procurât dans d’autres quartiers et qu’on les indemnisât de la perte qu’ils subissaient.

Je me serais efforcé ensuite, par une ruse de guerre, d’attirer l’ennemi en plus grand nombre possible sur le terrain miné; et, eussè-je dû en être la première victime, je n’aurais pas hésité à tout faire sauter.

Je sais que la victoire achetée à ce prix aurait fait naître chez nos ennemis de récriminations violentes, ils nous eussent appelés vandales, barbares, ils nous eussent accusés de vouloir faire reculer la France de 10 siècles.

Qu’ils me permettent cependant une comparaison. — Lorsque Rostopchine incendia Moscou et sauva ainsi sa patrie de l’invasion, ce fut parmi les ennemis de la Russie un cri général d’indignation.

Aujourd’hui, et pour tous ceux qui jugent impartialement les choses, Rostopchine n’est plus qu’un grand patriote, digne de la reconnaissance de ses concitoyens.

Pour nous, qui n’avons pu empêcher M. Vinoy d’apposer la signature de la France au bas d’un honteux traité, qui voyions l’existence de la République menacée par ceux-là qui venaient de vendre la Patrie, nous croyions de notre devoir de repousser au prix de tous les sacrifices cette invasion de préjugés et de tyrannie qui nous eussent fait retourner à 1788.

À nos yeux cette invasion était mille fois plus dangereuse que celle qui menaça la Prusse [sic, pour Russie] en 1812, et rien ne devait être épargné pour faire triompher la cause de la Révolution et du Progrès.

19 mars 1885

La retraite s’opéra sans trop grandes difficultés et nous arrivâmes à cinq heures et demie au pont d’Austerlitz. De la place Maubert, de la rue Galande, les fédérés vinrent se rallier à nous.

J’appris à mon arrivée que le comte de Beaufort, capitaine d’état-major attaché à la guerre avait été fusillé pour cause de trahison.

Nous continuâmes, après quelques instants de repos, notre mouvement sur la mairie du 11e arrondissement. [C’est là pourtant sans doute qu’il a appris la mort de Beaufort. Sur cette histoire, voir cet article.] Je me rendis auprès du grand citoyen Delescluze pour prendre ses ordres.

Quand je dis grand citoyen, je devrais ajouter le héros. Celui qui n’a pas vu le délégué à la guerre dans ces derniers jours ne peut se faire une idée exacte d’une des plus grandes figures de la révolution. Assis, et pouvant à peine se faire entendre, il donnait les derniers ordres nécessaires à la continuation de la lutte.

Il surmontait les souffrances aiguës d’une maladie qui le minait depuis longtemps. Entouré d’un grand nombre de citoyens qui venaient le consulter, il répondait à tous, mais on n’entendait plus qu’un filet de voix. Combien de ceux qui l’entouraient, abattus par une lutte désespérée, sont-ils retournés au combat chercher une mort certaine? Ses yeux semblaient vous dire:

Que faites-vous ici plus longtemps? Partez, allez grossir le nombre des cadavres derrière les barricades. Plus ils seront nombreux, plus l’armée triomphante, en les comptant, sera épouvantée de sa victoire. Elle comprendra peut-être que cette lutte des républicains contre les royalistes ne sera jamais terminée, et que vos orphelins leur demanderons un jour compte de ces hécatombes populaires.

(À suivre)

Livres cités

Vallès (Jules)L’Insurgé, Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).

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J’ai déjà utilisé cette image de la mairie du onzième arrondissement pour illustrer un article plus ancien.