Comme nous l’avons vu hier, Jules Mottu, maire du onzième arrondissement, a été destitué le 18 octobre. Dans Le Rappel daté du 22 octobre, on trouve successivement ces deux proclamations, celle que le nouveau maire du 11e arrondissement vient d’adresser à ses administrés:
Citoyens :
Le maire de Paris, en me nommant maire du 11e arrondissement, a fait appel à mon dévouement : c’est pourquoi j’ai accepté de servir la République au nouveau poste qui m’est assigné, comme j’avais accepté de la défendre à la tête du bataillon qui m’avait élu commandant.
Apaiser des dissentiments qui peuvent s’élever entre des hommes tous également dévoués à la cause de la République me paraît être, en face de l’ennemi, le plus impérieux des devoirs.
Personne ne pourra jamais considérer comme un gage donné à une réaction monarchique ou cléricale le nom d’un homme qui a été pendant toute sa vie l’un des adversaires les plus résolus du gouvernement impérial et l’un des propagateurs les plus décidés de l’idée républicaine.
Je n’oublierai pas que le devoir du magistrat républicain est d’être, jour et nuit, le serviteur du peuple, et je fais appel à vos sentiments de justice pour ne me juger que lorsque vous m’aurez vu à l’œuvre.
Vive la République !
Paris le 19 octobre 1870.
Le maire provisoire du 11e arrondissement,
ARTHUR DE FONVIELLE.
(Sur ce politicien, je vous donne rendez-vous, avec un article d’Henri Verlet le 4 novembre.)
Et la déclaration, adressée aux citoyens du 11e arrondissement :
Nous sommes révoqués!
Révoqués, parce que nous avons voulu, dans nos écoles communales, l’instruction laïque qui fait les citoyens, et parce que nous avons repoussé l’instruction congréganiste qui forme les esclaves.
À vous d’apprécier si nous avons fidèlement traduit les sentiments républicains qui animent le 11e arrondissement.
Notre seul regret, en quittant nos fonctions, est de laisser notre tâche inachevée.
Vive la République !
Le maire et les adjoints révoqués,
JULES MOTTU, BLANCHON, POIRIER.
La commission municipale, en conformité de vues avec le maire et ses adjoints, se retire :
Avrial, Bony, Couturat, Doudeau, Delaire, Derveaux, Guilmet, Jaud, Kneip,
Laloge, Lépine, Malarmet, Potron, Rebière, Schmitte, Tolain.
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Blanqui, dans La Patrie en danger datée du 21 octobre, replace cette destitution dans le cadre de l’actualité du siège de Paris.
Paris est isolé
Non, il ne viendra point d’armée de secours. Les dernières nouvelles, malgré tous les travestissements qu’on leur fait subir pour changer les échecs en victoires, ne permettent pas la moindre espérance d’une intervention provinciale sérieuse.
Paris ne doit plus compter que sur lui-même pour briser le réseau de fer qui l’enveloppe. Il l’aurait pu certainement. Le peut-il encore? Toute la question est là.
C’est au Gouvernement seul de la résoudre. Il a perdu en funestes négociations de paix les quinze premiers jours de son existence, ces jours précieux où il était possible de remplir Paris de canons et de bons fusils.
Il a perdu quinze autres jours en hésitations stériles, sans pouvoir se décider à de véritables préparatifs. Puis, il s’est mis franchement à la tête de la réaction. Il l’a déchaînée et la déchaîne chaque jour avec plus de rudesse sur le parti républicain. Il veut l’étouffer, l’anéantir: le doute à ce sujet n’est plus possible.
Lorsqu’on voit un maire, tel que le citoyen Mottu, considéré jusqu’à présent comme un des partisans les plus modérés de la République, mis au ban, frappé d’ostracisme avec toute sa municipalité, malgré la protestation de quarante mille signatures, malgré la clameur de la garde nationale tout entière, en un mot, malgré l’unanimité de l’arrondissement, que ne faut-il pas attendre, en fait de violence, de la dictature qui pèse sur Paris?
Cette dictature est cléricale. Car Mottu est proscrit pour avoir, sur ]e vœu du XIe arrondissement, réservé à l’enseignement laïque les écoles municipales, dont la mairie a le droit de disposer. On le frappe, lui, ses adjoints, son conseil municipal, parce qu’ils refusent de donner ces locaux aux frères ignorantins.
C’est donc la compression de l’idée républicaine, l’écrasement de la Démocratie, le triomphe à outrance de l’opinion rétrograde, qui sont désormais la politique de l’Hôtel de Ville. On trépigne les Républicains. Les voici de nouveau proscrits. C’est par conséquent l’armée des jésuites qui défendra la capitale. Les Prussiens n’ont qu’à bien se tenir; ils vont avoir affaire à la vierge Marie.
Avec cette divine assistance, la capitale peut se passer de secours terrestres. Les départements ne lui enverront point de troupes, mais la Vierge nous expédiera des légions d’anges, qui n’ont besoin ni d’artillerie ni de chassepots. Ce que le général Trochu peut adjoindre, en matériel, à ces forces célestes, n’est qu’une pure superfluité. Le vrai rempart de Paris, c’est le bataillon carré des ignorantins, soutenus par les auxiliaires d’en haut.
Fiez-vous à ces protecteurs invincibles, Parisiens, et moquez-vous de Bismarck, de Guillaume et de tous les Allemands de la terre. Une belle nuit, le général de la vierge Marie, l’illustre Trochu, fera une sortie, à la tête des ignorantins, et au même instant, l’ange exterminateur passera au fil de son glaive l’armée du nouveau Sennachérib [roi assyrien assiégeant Jérusalem en 701 avant J.-C.], campée autour de vos murailles.
Il ne vous restera plus qu’à rendre grâces à Notre-Dame des Victoires, à supprimer l’enseignement laïque, et à remettre vos filles et vos garçons entre les mains des révérends pères jésuites qui en feront le pieux usage que vous savez.
Mais si, par hasard, l’ange exterminateur n’était pas disponible à Paris, M. le général Trochu devra se rabattre sur ses talents militaires et sur ses 40,000 gardes nationaux formés en bataillons de marche.
Je souhaite ardemment que cette force, appuyée de la mobile et de la ligne, fasse autre chose qu’une de ces reconnaissances, payées deux ou trois mille hommes pièce. Je souhaite qu’une attaque, suffisante en nombre, renverse les Prussiens et désemprisonne la capitale. Je souhaite enfin victoire complète à l’armée parisienne.
Seulement, je n’y compte point. L’espoir fondé sur les bataillons de marche me semble une pure illusion, que l’on paiera peut-être bien cher.
Ah! si le Gouvernement avait mis en mouvement cinq cent mille hommes bien armés et une puissante artillerie, on aurait pu croire au succès, l’attendre même. Par malheur, l’Hôtel de Ville courait après la paix, sans même songer à la résistance. On n’a fait venir ni fusils ni canons. On n’a rien préparé, rien prévu. On n’est sorti de la léthargie qu’au réveil lamentable de Jules Favre dans l’antichambre de Bismarck.
Il était trop tard. Depuis le blocus, l’armement est devenu bien difficile, et l’activité du Gouvernement n’a pas grandi d’un cheveu. Il s’est pris de haine contre le parti républicain; il s’est pris de tendresse pour la faction contre-révolutionnaire.
Il n’a plus au cœur que ces deux passions. Le reste ne paraît pas compter à ses yeux. En écrasant la Démocratie, il brise l’unique élément d’énergie et de résistance. Il émascule Paris. Il lui ôte son âme et sa vie.
Nous verrons bien, ce beau triomphe accompli, l’attitude que nos maîtres sauront prendre devant l’armée qui nous cerne. Déjà une fois, depuis le début de cette guerre, la dictature de Bonaparte a pu étrangler, et assez facilement, l’opposition intérieure. On sait ce qu’il a pesé entre les mains des Prussiens. La dictature cléricaliste triomphe à son tour de la loyauté républicaine. On la contemplera prochainement à l’œuvre en face de l’ennemi.
Pourvu qu’elle ne se contente pas du rôle de concierge tirant le cordon au roi de Prusse!
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Le dessin de la mairie du onzième en 1865 (date de son inauguration) par Léon Leymonnerye est au musée Carnavalet.
Cet article a été préparé en juillet 2020.