Un matin de la fin du mois d’août 2023, je me suis rendue aux Archives de Paris, et j’y ai consulté les « cotes » (comme disent les archivistes) D2R4 26, 33 et 106. J’y cherchais des informations sur les gardes nationaux des 135e et 174e bataillons, et surtout sur une cantinière du 135e.
Je ne ferai pas de commentaire sur la façon dont sont conservés ces documents, qui sont principalement des listes, mais j’en ferai sur la façon dont elles ont été remplies. Ce sont des bataillons de quartiers populaires, voire misérables, du vingtième arrondissement. Pourtant les formulaires sont remplis de façon très claire et lisible.
Malgré cela, j’ai passé là plusieurs heures sans vraiment trouver ce que je cherchais. Par exemple, sur aucune des nombreuses listes d’effectifs du 135e ne figure la personne la plus connue de ce bataillon, la cantinière Léontine Suétens, une des cinq « pétroleuses » que la « justice » versaillaise a réussi à se mettre sous la dent. Il n’y a aucune femme, aucune cantinière enregistrée dans aucune des compagnies (qui sont de huit à dix selon les dates). Parmi ces listes, certaines ont enregistré ce qui a été remis aux gardes (habillement, armes, munitions). Par exemple, Louis Aubert, de la première compagnie, a touché:
- 1 vareuse, 1 pantalon, des souliers, 1 ceinture de flanelle et 1 capote, 1 sac, 1 tente-abri, 1 cartouchière, 1 bidon individuel,
- et, sur une autre liste, qu’il a signée, il a reçu aussi un fusil
(ces document ne sont pas datés).
J’ai été étonnée: je me souvenais que le 63e avait enregistré une cantinière, avec ses officiers. J’avais parlé de la citoyenne Yorinsky dans un article plus ancien.
Malheureusement, je pourrais dire la même chose du 174e. Ou presque. Presque, parce que, même s’il n’y a pas de femme dans les listes d’effectifs des compagnies de ce bataillon, il y en a une, ajoutée tout au bas d’une liste d’habillement,
Méneciez (femme)
à qui a été remise une capote. La seule femme de ma journée! J’ai relu la liste avec soin et, bien sûr, j’y ai trouvé un garde nommé Louis Méneciez, qui habitait 6 rue de Calais et était… le sergent fourrier de la quatrième compagnie — celui chargé de la distribution des vivres et des équipements.
Bien sûr! Le fourrier et la cantinière!
Je découvre ce couple, dont certainement il y a plus d’un exemple.
Mais… les « cotes » D2R4 ne contiennent pas que des listes. On y trouve aussi des comptes rendus des élections d’officiers et de sous-officiers des compagnies. Par exemple, le 20 novembre 1870, la première compagnie du 135e bataillon élit, entre autres, Louis Aubert comme… sergent fourrier!
C’est le même Louis Aubert dont j’ai déjà parlé, je l’avais choisi justement parce que je savais que c’était le conjoint de Léontine Suétens.
À n’en pas douter, on peut donc lire « entre les lignes » que cette femme, omise des listes, était déjà, à l’automne, pendant le siège de Paris, cantinière de la première compagnie du 135e.
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J’ai déjà utilisé cette photographie de Léontine Suétens dans un article plus ancien.