Suite et fin (ouf) de l’autobiographie de Charles Levaux, « beau réac ». Après 1848, le 31 octobre 1870, la Commune, la décoration, etc., etc. Il écrit plus que jamais en vert (et moi en noir).

Vous voyez qu’il me restait fort peu de temps à consacrer pour mes affaires personnelles.
Je souffrais encore un peu des mauvais traitements éprouvés au 31 octobre. En outre, j’avais eu les deux pouces de mes pieds gelés pendant longtemps après la nuit de l’affaire du Moulin de Pierre [la redoute du Moulin de Pierre, du côté de Clamart, près du fort d’Issy, avait été fortifiée par les Prussiens, en janvier 1871, les Parisiens ont tenté de détruire ces constructions, au début janvier, à un moment où il faisait vraiment froid. En principe, la 8e compagnie était « sédentaire », mais il est possible qu’elle ait participé à cette opération.].
C’est dans cette situation que des Officiers de la Garde nationale, notamment M. de Crisenoy, sont venus me trouver pour me demander de leur remettre une note avec Pétition au sujet de tous les actes de courage et autres, méritant la Croix de la légion d’honneur. Ils ont ajouté :

« qu’ils se chargeaient remplir toutes les formalités et faire la démarche nécessaire pour arriver à un résultat favorable ».

Il est bien évident dans de telles circonstances que d’une part il n’eût pas été convenable à moi d’aller à la Chancellerie presser ma nomination ; et d’autre part, je ne dois pas être victime de retards qui me sont étrangers, alors que ma demande est bien antérieure au 1er janvier 1872.

[Parlons de la remise de la décoration en 1872. C’est son confrère (avoué) Henri Maza qui a été son « délégué », c’est-à-dire qui lui a remis la décoration, le 16 mai 1872 (après que Charles Levaux ait acquitté les 12 francs de son brevet de chevalier). Notez qu’Henri Maza, qui n’avait que quarante ans, avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur dès le 1er juin 1871 et était le secrétaire général des conseils de guerre. Aucun doute qu’il était aussi un beau réac.
Et puisque nous avons mentionné Sévenas, dont le nom complet était Raoul Terrasson baron de Sénevas, eh bien, sachez qu’il a été, lui aussi, nommé chevalier de la légion d’honneur, le 6 mars 1872, et que sa décoration lui a été remise par… Charles Levaux le 4 juin 1872. Ce qui explique peut-être ce qui est dit de Levaux dans le feuilleton du Français mentionné dans un article précédent.]

Mais Enfin, si contre toute attente, tous mes nombreux arguments ci-dessus n’étaient pas encore suffisants, je demande alors à être relevé de toute déchéance en raison des motifs qui militent en ma faveur. [J’avoue que je ne comprends pas cette phrase.]
Je termine en rappelant (au point de vue pécuniaire seulement, puisqu’il ne s’agit que d’argent) que j’ai abandonné mes deux fortes créances contre la Ville et l’État, que, de plus, j’ai versé 100 f pour la reconstruction de la Légion d’honneur [nous les avons mentionnés ci-dessus], sans avoir pu obtenir la remise du Livre d’or. [Ça, c’est vache!]

Veuillez agréer l’assurance [etc.]

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Je suppose que sa lettre n’a pas eu d’effet. Il avait pourtant indiqué dans la lettre précédente qu’il était né en 1818 et que cette pension qu’il demandait, il ne la toucherait pas longtemps. Quelques mots sur son implantation géographique et sa famille, pour finir.
Son fils Henri Levaux est mort, je l’ai dit, à 35 ans, le 20 juin 1885. Son épouse, Félicie Parent, est morte, elle aussi, le 31 octobre 1887. Tous deux chez eux, 7 rue des Saints-Pères.
Sa fille Louise, née le 26 juillet 1853, s’est mariée, le 8 février 1890, elle avait 37, ans — famille très balzacienne, non ? — avec un sous-chef de bureau au Ministère des finances de 38 ans. Bien sûr, ils avaient fait un contrat de mariage. Chez ces gens-là… J’avais qualifié, dans le premier article de cette série, Charles Levaux de bling-bling. Parmi les témoins de ce mariage, on trouve Georges Pallain, conseiller d’état et commandeur de la légion d’honneur, il n’était pas encore gouverneur de la Banque de France mais seulement directeur des douanes, c’était un « ami ». Il y avait aussi Camille Doucet — d’accord vous n’avez rien lu de lui, moi non plus, je ne saurais même pas vous dire un titre, n’empêche ­— qui était le secrétaire perpétuel de l’Académie française et était aussi un « ami ». Les deux autres étaient cousin de l’époux, et un cousin de l’épouse qui habitait la même maison que l’époux, rue de Villersexel. Et si vous voulez tout savoir, les « jeunes mariés» sont allés habiter 37 rue de Lille — inévitable « Faubourg-Saint-Germain » — et ont eu, un an plus tard une petite fille, prénommée Félicie comme feue sa grand-mère et que son grand-père, notre « beau réac » lui-même, est allé déclarer à l’état civil. Son autre fille s’est mariée en 1893, Camille Doucet était de ses témoins, l’autre était un député…

Charles Levaux est mort le 9 juillet 1897. Il avait 78 ans. Ses deux gendres sont allés déclarer le décès. Le mari de Louise habitait toujours 37 rue de Lille, et l’autre… 7 rue des saints-Pères, comme son beau-père. Je n’ai pas su vous dire dans quelle église il s’était marié, mais je peux vous dire que ses obsèques ont eu lieu à Saint-Germain des Prés le 12 juillet.

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Dans ces années 1890, cette église ressemblait à ce que montre l’image de couverture, une photographie d’Hippolyte Biancard que j’ai trouvée au musée Carnavalet.

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Outre tout ce que j’ai utilisé dans les articles précédents (Leonore, conseils de guerre, etc.), il y a ici surtout l’état civil de Paris (en ligne aux archives de Paris). Et presque tout vient, ultimement, de Maxime Jourdan, que je remercie très chaleureusement.