Toujours la série de Gilette Ziegler dans L’Humanité pour le centenaire de la Commune, après la Marmite, la Bastille et la Corderie, nous voici dans le quartier des journaux, le 11 mars 1871, jour où Vinoy interdit onze journaux. Comme toujours, elle écrit en noir et moi en bleu.

Depuis la chute de l’Empire et le siège, les journaux politiques se sont multipliés à Paris; les cris des vendeurs emplissent les rues, de l’aube à la tombée de la nuit.

Ces journaux sont aux quotidiens que nous connaissons ce qu’est l’artisanat à la grosse industrie [que dire, plus de cinquante ans après???]: deux ou trois polémistes se réunissent, se cotisent, rédigent… Le seul problème consiste à payer les frais d’impression et il s’agit de simples feuilles qui se vendent cinq ou dix centimes. Mais les éditoriaux sont ardents, quelquefois lyriques; ils crient au peuple parisien la vérité sur les hommes de Versailles [léger anachronisme: comme le dit l’autrice un peu plus bas, l’assemblée, réunie à Bordeaux, n’a décidé de s’installer à Versailles que le 10 mars et il n’y a pas d’ « hommes de Versailles » le 11 mars] et, chaque jour, on s’arrache des messages de colère et d’espoir.

La rue du Croissant est à la fois le centre de plusieurs imprimeries, des bureaux de vente d’où partent les crieurs et des cafés où se réunissent les journalistes. Là on vend Le Cri du peuple de Jules Vallès, imprimé rue d’Aboukir, Le Vengeur de Félix Pyat, La Bouche de fer, de Pascal [sic, Paschal] Grousset [qui n’a eu que deux numéros, les 10 et 11 mars]. Au numéro 16, on imprime Le Père Duchêne, rédigé par Eugène Vermersch, Humbert et Vuillaume, qui reprend le langage cru du premier Père Duchêne, du temps de la grande révolution. Il y a aussi Le Mot d’ordre, d’Henri Rochefort, Le Flambeau, de Jamet, La Carmagnole qui paraît irrégulièrement, La Caricature (le mercredi et le samedi), avec les dessins de Pilotell [pour une liste presque exhaustive, voir cet article et le suivant.]

Ce samedi 10 mars, Vallès a publié un article intitulé « Mise en accusation » [je rappelle que ce numéro daté du 10 est paru le 9]:

Il est désolant, écrit-il, pour la cité affamée, saignée, vendue, calomniée, que les capitulateurs de l’Hôtel de Ville n’aient pas encore été saisis, jugés, qu’ils n’aient pas été convaincus publiquement de haute trahison.

Et Pilotell a représenté une guillotine rouge [c’était le 11 février, et c’est notre image de couverture] « offerte par La Caricature à l’Assemblée, pour l’exécution des jean-foutres de membres de la trahison nationale. » [comme on le voit, il y avait « J… F… », qui pouvait bien désigner un jean-foutre particulier (Jules Favre)]

Dans l’après-midi, autour des imprimeries, dans les cafés, on commente les nouvelles. L’Assemblée, c’est décidé, ne s’installera pas à Paris mais à Versailles. Et le conseil de guerre qui jugeait les accusés du complot du 31 octobre, coupables d’avoir voulu renverser le gouvernement, a condamné à mort par contumace Flourens et Blanqui [voir nos articles à ce sujet, notamment celui-ci].

Soudain, des hommes vêtus de noir arrivent: les huissiers qui viennent saisir sur l’ordre du commandant en chef de l’armée de Paris six journaux désormais interdits, Le Cri du peuple, Le Mot d’ordre, Le Père Duchêne, Le Vengeur, La Bouche de fer, La Carmagnole, dont les directeurs étaient poursuivis. C’est la riposte du général Vinoy — qui n’a rien oublié ni rien appris — à l’agitation de la ville, aux défilés de la Bastille [voir un article précédent de Gilette Ziegler], à la résolution du Comité central de la Garde nationale et à la manifestation populaire de la veille qui a empêché aux soldats de reprendre les canons gardés au Luxembourg.

Mais ce que les épreuves du siège n’avaient pu réaliser, les hommes de Versailles vont l’obtenir : la petite bourgeoisie et le prolétariat se retrouvent unis, la fusion est faite. Bientôt un nouveau Comité central, où siègent des internationaux, se réunira à la Corderie [il y avait peu d’internationaux, et je ne suis pas certaine que le comité central se soit réuni à la Corderie].