Suite de l’autobiographie de Charles Levaux, « beau réac ». Après 1848, le 31 octobre 1870, la Commune, voici le temps de la décoration. Il écrit en vert, moi en noir. Je rappelle que c’est une lettre au grand chancelier de la légion d’honneur que je cite.

Maintenant il me reste à répondre à votre objection ; relation à la tardivité de ma demande afin de décoration.
Peu de lignes suffiront je crois.
D’une part, aussitôt après les Événements de 1870 et 1871, j’ai été appelé à faire partie d’une des commissions qui avaient été nommées pour statuer sur le sort des Prisonniers avant leur départ pour Versailles ou pour les Pontons.
D’autre part, la Chambre des Avoués qui avait été mis[e] au courant de ma conduite pendant tous les Événements me fit venir pour me faire accepter les fonctions de membre du Bureau d’assistance judiciaire et c’est ainsi que je fus nommé rapporteur au sujet de la demande de Mad. Vve Millière contre le Capitaine Garcin (aujourd’hui Général). [Pour le traitement honteux de cette demande, voir nos articles sur Louise Millière ici, , et aussi là. Elle méritait bien que sa photo fasse la couverture de cet article!]
En outre, le Directeur de la Caisse d’Épargne m’a demandé de continuer mes fonctions d’administrateur à la Mairie du 6e arrondissement. [Nous n’avons pas oublié que, malgré son attachement au 7e arrondissement, il habite côté 6e de la rue des Saints-Pères.]
Enfin, j’ai dû paraître plusieurs fois comme témoin.

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Je ne l’ai pas vu mentionner pour ces faits par la presse. Lui et son épouse ont en tout cas témoigné contre Alexandre Dubois, comme on le voit dans le dossier en conseil de guerre de celui-ci (encore une fois ici merci à Maxime Jourdan). Charles Levaux a déposé le 26 octobre 1875. Son « témoignage » comporte, comme presque toujours, des « J’ai entendu dire », « Mon voisin aujourd’hui décédé m’a raconté que ». Sa femme a déposé quelques jours après, le 8 novembre 1875. Ce qu’elle a dit ressemble davantage à ce que l’on appelle un témoignage :

Le lundi 22 mai 1871, un inconnu à figure farouche, les bras teints de sang et en manches de chemise, est venu installer dans la loge de notre concierge, le nommé Dubois et huit fédérés qui se disaient appartenir aux Vengeurs de Flourens et à l’arrondissement de Belleville. Ce poste de fédérés est resté en permanence jusqu’au mercredi à 8 heures du matin. L’homme qui les installait a presque enfoncé la porte et a même ajouté : « Si vous n’étiez pas venu, je l’enfonçais » Dubois, alors, est monté à la cuisine et s’est fait servir toute espèce de provisions qu’on lui donnait, afin de le calmer, au fur et à mesure. Dubois montait souvent demandant soit du vin, soit du bouillon, soit autre chose. Il s’était installé dans la loge du concierge et il y délivrait des laisser-passer. Cette manière de la bien traiter nous a évité de courir des dangers sérieux, ainsi nous devons à notre manière d’agir envers les fédérés de n’avoir pas eu nos matelas et autres effets transportés à la barricade. Dubois a dit à ma cuisinière, la nommée Madeleine (cette femme n’est plus à mon service, j’ignore son adresse, cependant il me serait peut-être possible de retrouver son nom de famille) : « Citoyenne, ne soyez pas inquiète si vous entendez du bruit, car nous fusillerons ici les réactionnaires ». Je ne me rappelle pas ce propos de Dubois : « Nous ne mettrons pas le feu maintenant, mais quand les troupes avanceront », mais il disait à plusieurs reprises, montrant une grande exaspération contre l’armée : « Nous nous défendrons bien contre les versaillais. S’ils arrivent nous ferons tout sauter ». J’ai vu dans notre cour un homme de petite taille, se lavant les mains et les vêtements, il m’a dit : « C’est moi qui mis le feu aux archives de la légion d’honneur » ; mais ce n’était pas un homme du poste de Dubois. Les fédérés du poste ont fait feu jusqu’au mercredi à 7 heures du matin environ ; je ne saurais dire à quelle heure Dubois a quitté le poste, mais je suppose que c’est la Concierge du 7 bis qui les a fait sauver par les jardins où je les ai vu passer ; les fédérés ont laissé au poste une grande quantité de cartouches.
Ma cuisinière m’a répété que Dubois s’était vanté devant elle d’avoir volé dans les églises.

On extrait alors Dubois de la prison, elle le reconnaît, et elle ajoute :

Dubois portait continuellement deux pistolets à la ceinture et son fusil en bandoulière.

Alexandre Dubois a été condamné à 20 ans de travaux forcés (peine commuée en dix ans de prison).
Quant à Charles Levaux, la mention très fréquente de son étude pour des ventes de propriétés notamment, dans les journaux, semble témoigner d’une activité professionnelle importante. Je peux aussi vous dire qu’il a donné 20 francs, le 14 décembre 1871, pour les « Veuves et les Orphelins des Gendarmes, gardes de Paris et gardiens de la Paix Fusillés comme otage de la Commune (voir Le Figaro, 18 décembre 1871) et deux fois 50 francs pour la reconstruction du palais et des bureaux de la Légion d’honneur (voir le Journal officiel, 16 février 1872 et 26 octobre 1872).

[Suite et fin de la lettre de Levaux dans l’article suivant.]

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La photo de couverture est celle de Louise Millière, voir cet article.

Outre le dossier de Charles Levaux aux archives de la Légion d’honneur, et précisément là, j’ai utilisé ici le dossier en conseil de guerre d’Alexandre Dubois, que Maxime Jourdan avait eu la bonne idée de photographier au SHD à Vincennes et qu’il a eu la non moins bonne idée de me transmettre. La cote est 8J83 / 2117. Merci, Maxime!