Suite du récit de la vie d’Alexis Trinquet (voir ici l’article précédent).
Alexis Trinquet est dénoncé, dès le 3 juin, comme habitant 2 rue Vincent à Belleville, où… il est complètement inconnu (et où, un autre « témoin » nous l’a dit, il aurait vécu 15 jours). Il est aussi dénoncé s’être réfugié « chez un marchand forain ou saltimbanque, son parent, à La Chapelle » (mais dont le dénonciateur ignore l’adresse). Le 10 juillet, certains policiers le cherchent toujours…
Pourtant… Il a été arrêté le 8 juin, à Charonne (selon le Maitron), dans le quartier du Faubourg-du-Temple (selon Le Français), dans les Carrières d’Amérique (selon presque toute la presse), et, autres variantes, avec (ou sans ?) sa femme, à deux heures du matin…
En tout cas il est arrêté.
Il est emprisonné au Dépôt, puis en est « extrait » le 25 juillet « et remis à deux gendarmes pour être conduit à Versailles » (selon la police).
Et il fait partie des accusés du procès à grand spectacle « des membres de la Commune » (ce que j’ai déjà raconté, et même plusieurs fois). Ce « conseil de guerre » nous a déjà fourni pas mal d’informations — ou de désinformation. Les journalistes qui assistent à ce procès, et ils sont nombreux, se livrent à des descriptions assez haineuses des accusés — et en particulier d’Alexis Trinquet, on l’a vu plus haut. Mais aussi ils donnent des informations qui ne sont pas dans le procès verbaux ou comptes rendus des audiences. D’Alexis Trinquet, on apprend ainsi qu’il lisait un livre pendant les audiences, et même que ce livre était… Les Hommes de la Commune de Clère. Relire cette liste de descriptions et biographies tendancieuses des membres de la Commune en imaginant que vous êtes l’un d’eux et que vous le lisez en attendant d’être condamné… En imaginant que c’est le livre que lisait Trinquet pendant les audiences. Lecture en abîme…
Est-il utile d’insister sur le fait qu’il est impossible de croire les témoins utilisés dans ce procès, ils se trompent sur les dates, les lieux, les gens — un témoin qui l’accuse connaît bien Urbain… et désigne Trinquet, etc., etc.
Si Alexis Trinquet est maltraité par la presse bien-pensante, il trouve grâce aux yeux de Jacques Rougerie:
Quelques-uns heureusement sauvèrent l’honneur.
— parce qu’il a déclaré :
J’ai été envoyé à la Commune par mes concitoyens; j’ai payé de ma personne; j’ai été aux barricades, et je regrette de ne pas y avoir été tué; je n’assisterais pas aujourd’hui au triste spectacle de collègues qui, après avoir eu leur part d’action, ne veulent plus avoir leur part de responsabilité. Je suis un insurgé, je n’en disconviens pas.
Rougerie trouve cette déclaration honorable, La Gazette de France trouve qu’il a failli être le héros du procès, mais il n’en est évidemment pas de même de tous les journalistes (réactionnaires, dois-je répéter que « journaliste réactionnaire » est alors un pléonasme) qui en rendent compte. Fanfaronnade, juge Le Petit Figaro du 23 août. Sans doute les « juges » en pensent-ils autant. En tout cas, cela ne les incite pas à la clémence, qui de toute façon n’est pas leur truc, si vous me passez cette expression, et ils le condamnent aux travaux forcés à perpétuité.
Condamné le 2 septembre, il quitte les prisons de Versailles dès le 15 septembre pour la gare de Lyon et au-delà pour Toulon (c’est le bagne), où il arrive le 17, reçoit bientôt un bonnet vert (signe de la perpétuité), subit le ferrement et devient le n° 23419. Le journal Le Toulonnais relate une visite du bagne, à l’improviste, par un vice-amiral, préfet maritime, et dit d’Alexis Trinquet :
Il paraît très résigné et bien décidé à accepter sa nouvelle position sans manifester le moindre sentiment de faiblesse.
Il est alors le seul condamné communard en ce lieu.
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J’ai utilisé le dossier B a 1288 aux archives de la préfecture de police.
L’image de couverture, que j’ai déjà utilisée dans cet article de 2021, est un « gros plan » d’une image plus grande et montre un Alexis Trinquet barbu mais parfaitement reconnaissable.
Livres cités
Clère (Jules), Les Hommes de la Commune, biographie complète de tous ses membres, Dentu (1871).
Rougerie (Jacques), Comment les communards voyaient la Commune, Le Mouvement social n°37 (1961), — Procès des communards, Julliard (1964)