Nous avons parlé du décor, du public, des « juges », voici maintenant les dix-sept accusés.
Ferré (Théophile-Charles-Gilles), comptable, vingt-cinq ans, demeurant à Levallois-Perret.
Assi (Adolphe-Alphonse), mécanicien, né à Roubaix (Nord), trente ans, boulevard du Temple, 38.
Urbain (Raoul), né à Loudivoirau, trente-quatre ans, chef d’institution.
Billioray (Alfred-Edouard), âgé de trente ans, artiste peintre, né à Naples.
Jourde (François), étudiant en médecine.
Trinquet (Alexis-Louis), ouvrier cordonnier.
Champy (Louis-Henri), orfèvre-ciseleur.
Régère (Dominique-Théophile), vétérinaire.
Lullier (Charles), ancien officier de marine [qui n’était pas membre de la Commune mais du Comité central].
Rastoul (Paul-Emile-Barthélemy-Philémon), docteur en médecine.
Grousset (Paschal), homme de lettres.
Verdure (Augustin-Joseph), comptable.
Ferrat, homme de lettres [qui n’était pas membre de la Commune mais du Comité central].
Descamps (Baptiste), mouleur en fonte.
Clément (Victor-Joseph), teinturier.
Courbet (Gustave), artiste peintre.
Parent (Ulysse), artiste dessinateur.
Un lieu où les découvrir est le livre Procès des communards, de Jacques Rougerie. Un livre paru en 1964, un livre, comme tous les livres, de son époque. Il a été republié, sous un titre différent et sans modification substantielle, en 2018. Il présente quelques-uns des accusés du « procès des membres de la Commune », celui qui nous intéresse ici, mêlés à d’autres. Dans l’ordre,
Régère, Rastoul, Descamps, Victor Clément, qui sont dans notre liste,
Jean-Jacques Pillot, un membre de la Commune qui a été jugé le 22 mai 1872,
Courbet, Jourde, Trinquet, Ferré, retour à notre liste,
Louise Michel, jugée le 18 décembre 1871,
Louis Rossel, jugé le 8 septembre 1871.
Il s’agit de montrer que « les membres de la Commune ont fait, sauf exceptions, plutôt pâle figure », contrairement à « la bonne Louise », qui s’est « admirablement tenue » devant ses juges.
J’ai indiqué les dates des procès. Louise Michel a été jugée en décembre longtemps après notre procès, et surtout, après l’exécution de Ferré, Bourgeois et Rossel le 28 novembre. Quoi qu’on sache ou qu’on imagine savoir des personnalités respectives de Régère par exemple et de Louise Michel, des commentaires sur leurs comportements différents lors de leurs procès devraient prendre en considération
– le fait que tous les accusés des procès sont des rescapés, des miraculés de la Semaine sanglante, et que les premiers, en août, croyaient peut-être sauver leur peau,
– et le fait que, après ce premier procès « exemplaire » — et ceux qui vont suivre, celui « des pétroleuses », ceux de Rossel, de Rochefort et d’autres — on sait, tout le monde sait, que la stratégie « ce n’est pas moi, je n’y étais pas » est contre-productive.
Évidemment, on a davantage de plaisir à lire la déclaration de Théo Ferré —
Membre de la Commune de Paris, je suis entre les mains de mes vainqueurs: ils veulent ma tête, qu’ils la prennent. Jamais je ne sauverai ma vie par la lâcheté. Libre j’ai vécu, j’entends mourir de même.
— et celle d’Alexis Trinquet —
J’ai été aux barricades, et je regrette de ne pas y avoir été tué; je n’assisterais pas aujourd’hui au triste spectacle de collègues qui, après avoir eu leur part d’action, ne veulent plus avoir leur part de responsabilité. Je suis un insurgé, je n’en disconviens pas.
— que les nombreuses déclarations « j’ai démissionné » (Billioray, Courbet — qui mélange si habilement le manifeste de la minorité et une démission de la Commune qu’il a convaincu, sinon le conseil de guerre, du moins quelques historiens de l’art, qu’il avait démissionné de la Commune –, Rastoul, Verdure, Descamps… et Parent, qui a effectivement démissionné le 5 avril) ou encore « je n’ai pas voté le décret des otages » (Assi — et en effet il n’était pas à la séance le 5 avril –, Urbain n’était pas à la séance — il n’y a pas de liste des présents dans le procès-verbal –, Billioray non plus, il était malade, Champy plus subtilement n’a pas « voté le massacre des otages » — que personne n’a voté –, Régère n’a pas voté le décret et l’a même ignoré — c’est faux, il était à la séance et le décret a été voté à l’unanimité –, Verdure était absent, Clément a voté contre — c’est faux, Victor Clément était présent le 5 avril et donc a voté pour –, Descamps n’y était pas, quant à Rastoul, eh bien il était présent lui aussi…). À propos des otages, il faut signaler que les « juges » ne savent pas ce qui s’est discuté à la Commune et qui y était: nous lisons les procès-verbaux mais eux ne les avaient pas, ils n’avaient que ceux, tardifs, publiés dans le Journal officiel. Pas celui du 5 avril ni celui du 26 avril, donc, mais celui du 17 mai (voir nos articles du 29 avril et du 18 mai dernier) — dans lequel on voit Raoul Urbain demander nettement l’exécution d’otages.
J’ai déjà beaucoup parlé de Gustave Courbet sur ce site, un peu d’Alexis Trinquet et de Théo Ferré, je vais revenir sur ces deux derniers dans de prochains articles. Je vais me contenter, pour finir celui-ci, de quelques mots sur Francis Jourde, le délégué aux finances de la Commune (voir l’article du 19 mars). Rougerie présente ses réponses au conseil de guerre ainsi:
Il est le « bon comptable ». […] il ne veut que souligner sa propre modération, l’honnêteté de sa gestion financière, qui consista surtout à faire respecter le « mur d’argent » de la Banque de France. […] on conçoit l’agacement de Marx à la pensée que les communards avaient épargné la Banque de France.
C’est à une lettre de Marx de 1881 (que l’on trouve par exemple dans le livre de Stathis Kouvélakis) qu’il est fait allusion:
Rien que l’appropriation de la Banque de France aurait effrayé les versaillais et mis fin à leurs vantardises, etc., etc.
Lissagaray, auteur, à propos de la Banque, de la belle formule « Par là on tenait les parties génitales de la bourgeoisie », semble avoir compris de façon plus sympathique les déclarations du jeune homme. Voici ce qu’il en dit, juste après avoir cité Alexis Trinquet:
Il fallut aussi entendre Jourde. Sans documents, par un prodigieux effort de mémoire, l’ancien délégué aux Finances établit les recettes et les dépenses de la Commune, avec une abondance de détails, une modération de termes, une verve qui, pendant plus d’une heure, obligèrent cette salle au silence.
Dans le prochain article, je parlerai des témoins.
*
L’image de couverture est un détail d’une gravure parue dans Le Monde illustré du 9 septembre 1871, que je publierai un jour en entier. Les accusés sont séparés par des gardes. On y reconnaît, de gauche à droite et de bas en haut, Ferré, Assi, Urbain, et Trinquet.
Livres cités
Troisième conseil de guerre, Procès des membres de la Commune, Versailles (1871).
Rougerie (Jacques), La Commune et les Communards, Folio (2018).
Marx (Karl) et Engels (Friedrich), Sur la Commune de Paris, Textes et controverses, précédé de Événement et stratégie révolutionnaire, par Stathis Kouvélakis, éditions sociales, 2021.
Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).