Le 6 mai, le mot « femme » arrive dans le procès-verbal de la réunion de la Commune, à propos de « travail des femmes ». C’est exceptionnel, cela ne mène à rien, mais c’est remarquable à plus d’un titre.
D’abord, cela permet à Léo Frankel d’élargir un débat mal engagé en formulant une nouvelle proposition socialiste.
On parle de dégager des outils du Mont-de-piété. C’est la commission du travail, par la voix d’Augustin Avrial, qui fait des propositions. Comme je l’ai expliqué il y a déjà longtemps, la question des Monts-de-piété est très délicate. Le délégué aux finances (Jourde) trouve le décret proposé « impossible ». Voici donc que Frankel — le délégué au travail — prend la parole.
[…] Si nous voulons faire un décret sur les engagements faits au Mont-de-piété, c’est probablement pour faire du bien à la population, et alors il faut prendre des mesures plus urgentes, plus nécessaires. Dernièrement, je disais à Jourde que les femmes de Paris étaient sans travail en ce moment ; que les gardes nationaux n’avaient pour vivre que leurs 30 sous; qu’enfin la misère était générale pour les ouvrières de Paris et que je me proposais, d’accord avec la Commission du Travail et de l’Échange, d’organiser des ateliers. Mais non pas des ateliers nationaux;
— il pense à 1848 —
ce seraient des ateliers où l’on distribuerait du travail, et où les femmes recevraient du travail à faire dans leur ménage,
— dommage pour la socialisation de l’atelier —
car, tout en procurant du travail, nous tenons en même temps à faire des réformes dans le travail des femmes. En entendant le délégué aux Finances dire qu’il pourrait disposer de 8 à 10 millions pour les dégagements, je me demande si nous ne ferions pas beaucoup plus en procurant du travail aux femmes, en admettant pour plus tard les conclusions du rapport de la Commission du Travail et de l’Échange sur la liquidation des monts-de-piété. La Commission du Travail, en faisant son rapport, n’a pas entendu conseiller une liquidation immédiate. Quand nous aurons réformé notre état économique, on pourra liquider cette situation ; mais, pour réformer l’état économique, il faut organiser le travail. Si vous ne procurez pas du travail, vous n’aurez fait qu’un changement de courte date.
Jourde répond. Le président (c’est Ostyn) redonne la parole à Frankel
non pour faire un discours, mais seulement pour dire deux mots.
Et Frankel :
Je retire ma proposition, puisque le citoyen Jourde s’engage, non seulement à faciliter le dégagement des objets, mais aussi à donner une somme de 100.000 francs par semaine, jusqu’à concurrence d’autant de millions qu’il sera nécessaire pour le dégagement absolu des objets pour organiser le travail des femmes.
Car parmi les objets engagés, il y a des machines à coudre…
Et voilà — malgré le « dans leur ménage » — une mesure socialiste disparue, vous avez bien lu
Quand nous aurons réformé notre état économique, on pourra liquider cette situation.
D’autre part, malgré la présence, entre autres, de nombreux « ânes de proudhoniens » (comme dit Marx), dans l’assemblée communales, et peut-être parce que Frankel a (subtilement?) parlé de travail « dans leur ménage », personne ne s’élève contre l’idée du travail des femmes. Il est vrai que c’est inutile, la politique à courte vue sur les Monts-de-piété suffit à lui faire retirer sa proposition.
Finalement, j’aimerais bien savoir pourquoi Bourgin et Henriot ont omis d’inclure un
- Femmes (travail des). —
dans leur index. C’est quand même bien plus intéressant que les femmes de sergents de ville, non ? Parce que l’idée du travail des femmes ne les intéressait pas ?
*
La blanchisseuse de couverture vient du film La Nouvelle Babylone, je l’ai déjà utilisée dans un article ancien.
Livre cité
Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel), Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).