Je ne suis pas historienne. Ce n’est pas mon métier.
Il m’arrive encore, de temps à autre, d’avoir à expliquer, ou plutôt à raconter, ce qui s’est passé à Paris pendant la Semaine sanglante. Par exemple lors des rencontres en librairies autour du livre Les Historiens contre la Commune, avec son auteur Emmanuel Brandely (à Paris, puis à Marseille). Parfois, j’arrive à dépasser la question « Compter les morts », pour parler de la répression, qui ne s’est pas terminée avec les massacres. En particulier, de celle qui a frappé les femmes.
Je suis toujours aussi indignée qu’aucun historien « sérieux », « authentique », « patenté », n’ait compté ces morts, depuis 1880. Je suis toujours aussi indignée qu’aucun historien (mêmes qualificatifs) n’ait pris la peine de faire republier La Semaine de Mai, de Camille Pelletan. Mais j’ai fait ce que j’ai pu, et je suis assez fière d’avoir, mais un peu tard, mais un peu seule, compté ces morts dans un livre, et fait publier cet autre livre, sous sa belle couverture « terreur tricolore », et de l’avoir fait avec les éditions Libertalia.
Ma contribution à ce livre est dans les notes (140 ans après, des commentaires et des confirmations n’étaient pas inutiles) et dans l’introduction que j’ai écrite pour lui, et que je vais publier, presque trois ans après, en une série d’articles sur ce blog — je ne l’avais pas fait jusque là parce que je ne voulais pas « écrire sur les historiens », les communards sont bien plus passionnants.
Une de mes amies a eu l’occasion de parler des femmes envoyées au bagne de Cayenne, auxquelles j’avais consacré une série d’articles (voir cet article et les suivants). Elle a, bien sûr, fait référence à ces articles, mais cela a été coupé de son intervention.
— Je précise que j’avais dit que, pour les bagnardes, c’est toi qui avais travaillé dessus.
— Je t’avoue que j’ai trouvé très bien qu’il en soit (enfin) question et n’ai pas pensé un seul instant qu’il fallait me citer.
J’ai rajouté un post-scriptum:
— Ainsi tu vois que je ne suis pas historienne!!!
— Mais je t’avais citée parce que je connais trop d’historiens (et historiennes mais moins je crois) qui se servent sans vergogne de ce qu’on dit, comme s’ils se l’attribuaient, qui font des références à des cartons d’archives qu’ils ne connaissent pas mais dont ils ont pris la référence voire la citation sur d’autres.
En effet, quelque temps après, j’ai pu m’apercevoir qu’un historien (professionnel) à qui j’avais indiqué, disons, quelques erreurs, dans un article qu’il avait publié en ligne, avait profondément modifié cet article, qui dit maintenant à peu près le contraire de ce qu’il disait auparavant. Sans m’avoir écrit pour me remercier personnellement (je l’avais quand même sauvé du ridicule), ni même m’avoir informée qu’il le faisait… À peu près au même moment, j’ai entendu une (autre!) personne m’asséner fort longuement un « c’est public, donc j’ai le droit » à propos d’illustrations dont elle ne citait pas les auteurs. Droit ou pas droit, on cite les auteurs, on cite les sources. Point à la ligne.
Bon. Soyons clairs. Mesdames et messieurs les historiennes et historiens universitaires qui avez « besoin » de publier pour vivre, ou pour être promus à des postes plus glorieux et mieux payés (rassurez vous, je vous comprends, l’histoire n’est pas mon métier, mais j’ai été professeur d’université et je connais les mœurs), n’hésitez pas, pillez ce blog!
Je vois bien que vous ne voulez pas vous attribuer le décompte des morts — est-ce parce que les historiens « institutionnels » ne veulent pas « prendre parti » dans ce décompte? ou alors parce qu’il y a un livre publié et que ce serait trop visible?
Mais n’hésitez pas à prendre tout le reste! Je me fous de la gloire, ce que je fais, c’est pour qu’on sache… comme disait Lissagaray en tête de la préface de 1896 à son Histoire de la Commune de 1871 (je cite mes sources).
À suivre: l’introduction à l’édition de 2022 de La Semaine de Mai.
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Les deux couvertures des livres ont été dessinées par Bruno Bartkowiak pour Libertalia.
Livres cités
Brandely (Emmanuel), Les historiens contre la Commune, Les Nuits rouges (2024).
Audin (Michèle), La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).
Pelletan (Camille), La Semaine de Mai, Maurice Dreyfous (1880), — La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).
Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

